La Vallée des chevaux
de glace qui pendait dans le trou à fumée. La buée dégagée par la
respiration des deux occupantes et la cuisson des aliments était transportée par
la chaleur du feu vers la voûte de la caverne et, en rencontrant l’air froid
qui rentrait par le trou, se transformait en glace. Mais le vent sec qui
soufflait sans relâche chassait suffisamment l’humidité pour que, durant
l’hiver, le sommet du trou à fumée n’ait été décoré que d’une frange de glace.
Ayla fut donc très surprise de voir la longue chandelle, grise de cendres et de
suie, qui pendait à cet endroit.
Une troisième goutte d’eau tomba sur le sommet de son crâne
avant qu’elle ait eu le temps de se reculer. Elle alla s’essuyer et poussa un
cri de joie.
— Whinney ! Whinney ! dit-elle en se précipitant
vers la jeune jument pour la prendre par le cou. La glace commence à
fondre ! Le printemps n’est pas loin ! Bientôt les arbres vont
bourgeonner et tout va reverdir. Tu vas pouvoir manger de l’herbe tendre. Je
suis sûre que tu adoreras ça !
Lâchant le cou de Whinney, Ayla courut sur la corniche, comme si
elle espérait y découvrir un paysage déjà verdoyant. La neige n’avait nullement
disparu durant la nuit et le vent était si froid qu’elle rentra prestement à
l’intérieur de la caverne.
Les jours suivants, elle fut bien déçue : au lieu du
printemps tant attendu, le blizzard se mit à souffler. Il fit encore plus froid
qu’au cœur de l’hiver. Malgré tout, le printemps arrivait, talonnant sans
relâche l’hiver, et le soleil, déjà plus chaud, faisait fondre la croûte gelée
qui recouvrait le sol. Les gouttes qui étaient tombées dans le cou d’Ayla
annonçaient bien que la glace allait se transformer en eau – et les
effets de la fonte seraient plus impressionnants qu’elle n’aurait jamais osé
l’imaginer.
Non seulement la neige et la glace fondaient, mais il se mit
aussi à pleuvoir, ce qui accéléra encore le processus de la fonte, et les
steppes bénéficièrent de cet apport d’humidité. Il ne s’agissait nullement d’un
phénomène localisé. La source de la rivière qui coulait dans la vallée était
alimentée par la fonte de l’immense glacier, et toutes sortes d’affluents, qui
étaient déjà à sec lorsque Ayla était arrivée dans la vallée, venaient s’y
jeter aussi.
Ces torrents dévalant des lits qui, l’instant d’avant, étaient
encore à sec, surprenaient les animaux qui avaient le malheur de s’y trouver et
les entraînaient en aval. Leur force et leur violence étaient telles que les
cadavres qu’ils charriaient étaient broyés et dénudés jusqu’à l’os.
Parfois, négligeant d’anciens tracés, l’eau de la fonte
choisissait un nouveau parcours, déracinant au passage les arbres et les
buissons qui avaient vaillamment réussi à pousser depuis des années dans un
environnement hostile. Des pierres, des galets et même de gros rochers étaient
entraînés au passage par cette marée de débris.
Les parois de la gorge en amont de la caverne bridaient le flot
furieux qui se déversait par-dessus la cascade. La résistance que rencontrait
la rivière lui donnait encore plus de force et faisait monter le niveau des
eaux. Les renards qui avaient installé leur terrier sous le tas d’ossements et
de bois flottés étaient maintenant inondés.
Le spectacle de la crue était si impressionnant qu’Ayla passait
une partie de la journée sur la corniche à observer ces eaux tumultueuses et
couvertes d’écume dont le niveau montait un peu plus chaque jour. Surgissant de
l’étroite gorge, l’eau se précipitait avec violence contre la saillie rocheuse,
déposant à la base de celle-ci son lot de débris variés. Ayla comprenait enfin
pourquoi autant d’os, de bois flottés et de blocs erratiques avaient pu
s’accumuler à cet endroit et elle se félicitait que la caverne soit située
aussi haut.
Lorsqu’un gros rocher ou un arbre venait s’écraser contre la
saillie rocheuse, le choc se répercutait jusque sur la corniche. A chaque fois,
Ayla sursautait, effrayée. Puis elle oubliait ses craintes. Elle était devenue
fataliste. Si le moment était venu pour elle de mourir, tant pis ! De
toute façon, elle était morte le jour où Broud l’avait maudite. Elle n’était
pas de taille à combattre les forces qui présidaient à son destin. Même si la
corniche où elle se trouvait devait être emportée par les eaux, elle ne pouvait
rien
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