La vengeance d'isabeau
Inconscients du mal qu’ils pouvaient lui faire avec leurs questions, ils lui rendraient ces retrouvailles insupportables. Il valait mieux que les choses se règlent d’abord entre adultes. Ensuite, on verrait.
Ils s’en désolèrent moins que Marie ne l’avait pensé. De fait, ils avaient à Paris beaucoup moins de liberté qu’en Auvergne. Le va-et-vient incessant des charrettes retenait leurs jeux dans la maison ou la cour, et l’espace leur manquait. Marie s’en rendait compte. De plus, Albérie se languissait de son époux qu’elle n’avait pas vu d’une année. Aucun d’eux n’était à sa place. Il fallait avoir grandi comme elle au cœur de Paris pour l’aimer.
Ils partirent donc au début du mois d’août 1539. Huit jours plus tard, Jean Latour arrivait.
Marie le reconnut à peine tant il avait maigri et vieilli d’un coup. Une tige de bois retenue par des lacets de cuir prolongeait le moignon restant de sa jambe. Malgré cela, il devait s’appuyer sur une canne pour avancer. Elle le vit descendre de litière à l’instant où elle essuyait ses mains mouillées à son tablier devant la croisée. Elle fut heureuse d’avoir ainsi le temps de se composer un visage serein quand tout en elle soudain n’était que tristesse. Jean n’accepterait pas sa pitié. Aucun des estropiés qu’elle avait connus dans son enfance ne s’y serait soumis.
Elle ouvrit grand la porte, accrocha un sourire sur sa peine et l’interpella franchement :
— Jean !
Il se tourna vers elle après avoir payé le voiturier et la laissa s’avancer au-devant de lui dans la ruelle encombrée. Elle le serra dans ses bras sans hésiter.
— Quelle joie de te voir, Jean. Entre vite ! Paris est de plus en plus souillé.
Comme pour lui donner raison, un cheval passa à les frôler, croisant une charrette à bras encombrée de melons d’eau poussée par son propriétaire débordant d’injures.
L’instant d’après, ils se retrouvaient dans le logis. Marie avait évité de l’aider à monter l’escalier de trois marches qui en rehaussait l’entrée.
— Donne-moi ton manteau ! exigea-t-elle.
Comme elle ne manifestait pas la moindre intention de l’aider à se déshabiller, il se détendit enfin et Marie redécouvrit avec satisfaction la blancheur de son sourire. Elle accrocha la cape de cuir sur une patère et entoura le cou amaigri de ses deux mains.
— J’ai bien cru ne jamais te revoir, dit-elle simplement en lui bisant une joue barbue. Bienvenue chez toi, Jean.
D’un geste ample, il enlaça ses reins et la plaqua contre lui. Elle se laissa faire, mais il la repoussa presque aussitôt.
— Pardonne-moi, dit-il.
Elle ne répondit pas. Elle venait de prendre conscience à son regard qu’il avait seulement par ce geste cherché une réponse à sa virilité perdue. Il était visible à sa tristesse qu’il ne l’avait pas trouvée.
— Raconte-moi, dit-il pour rompre ce silence gênant. Je veux tout savoir de ce qui s’est passé tandis que je me mourais.
Marie l’entraîna vers une chaise à bras et ils parlèrent jusque tard. Enhardi par ses confidences, Jean lui confia que quelque chose s’était détraqué en lui depuis l’ablation. Les médecins disaient que l’amputation de sa jambe n’était pas responsable de son impuissance, que la cause en était ailleurs, mais il n’y croyait guère. Il continuait d’éprouver du désir, mais son corps refusait d’y satisfaire. Marie lui promit d’écrire à Philippus pour lui demander conseil.
Sur cette résolution, Solène arriva, qui venait de fermer la boutique.
— Jean ! S’étrangla-t-elle en lâchant le trousseau de clés.
Jean lui sourit et lui ouvrit les bras. Elle s’y jeta avec tendresse, mais il tourna la tête comme elle voulait l’embrasser. Solène refoula ses larmes et baissa les yeux.
— J’aurais dû me douter que ton cœur était toujours pour elle, lâcha-t-elle en le regrettant aussitôt.
Le sourire de Marie se figea. Celui de Jean se fit triste, néanmoins il lui saisit le menton et força les yeux verts à soutenir les siens.
— Ce n’est pas cela, Solène. Tu es mariée et je le respecte.
— Tu n’as jamais respecté le mariage, Jean Latour. Et celui-ci est non consommé, donc facilement annulable.
Jean tourna la tête vers Constant qui était entré et s’avançait sans animosité. Jean voulut se lever, mais sa canne glissa. Constant lui tendit alors une poigne chaleureuse.
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