La vengeance d'isabeau
ton ennuyé.
Marie hocha la tête. Cette perspective l’avait rattrapée. Elle ne s’y attarda pas. Déjà, Montmorency continuait sur sa lancée :
— Catherine vous déteste, Marie. Vous êtes belle, certes, et surtout libre. Trop libre. Nous vivons une époque où toute forme de liberté est suspecte. Dangereuse.
— En quoi suis-je plus libre qu’elle, Anne ? Elle règne. Pas moi.
— Elle est esclave de ce pouvoir qui constitue sa seule arme, son seul atout. Elle ne règne que par la relation ambiguë qu’elle entretient avec les êtres de son espèce. Pour une parcelle de ce pouvoir, beaucoup vendraient jusqu’à leur âme. Vous avez su garder la vôtre et cette fraîcheur vous a fait aimer d’un roi qui peut encore, d’un simple geste, l’écarter, elle, d’un véritable destin. On imagine toujours reconnaître en face de soi l’esprit dont on est soi-même forgé. Cette manigance lui permettait de vous perdre si vous cessiez de la servir, ce qui est devenu le cas, mais aussi si vous décidiez d’influencer le roi vers son bannissement.
— Je n’ai pas œuvré à sa perte. Je continue de ne pas comprendre.
— Voilà pourquoi je songe au Milanais. Vous savez aussi bien que moi combien Catherine est attachée à la terre de ses ancêtres. Il devait être sa dot. Sa garantie d’une légitimité en France.
— Certes.
— Depuis des années, le Milanais passe du roi à l’empereur et de l’empereur au roi, dans une joute meurtrière qui lui laissait pourtant espérer le récupérer un jour. L’obstination de François I er en ce sens était en soi une promesse. Or il signe la paix avec son ennemi. Le Milanais est perdu. Cela devient insupportable, d’autant qu’Henri succombe au charme de Diane de Poitiers, que le roi apprécie autant que vous. Pour comble, Catherine est désespérément stérile. Il suffirait d’un rien désormais pour qu’elle soit répudiée. Sa seule consolation devient alors la vengeance. Imaginez, Marie : je ramassais le billet. En ma qualité de connétable, il me fallait le remettre au roi, lequel tenait à sa merci à la fois son pire ennemi et la responsable de la mort de son fils. Sa colère se serait abattue sur l’empereur et sur vous. L’empereur aurait été emprisonné comme François le fut en son temps, et le Milanais redevenait une monnaie d’échange. L’affaire ayant été publique, vous auriez été jugée et punie pour assassinat et haute trahison. Je n’aurais eu d’autre recours que prétendre avoir découvert votre jeu et vous avoir approchée pour mieux vous perdre. Catherine était vengée et le Milanais acquis.
— Pourquoi avoir choisi de la suivre, Anne ? Il vous suffisait de m’en parler.
— Je n’avais pas le choix, Marie. Cette gorgone me tient, hélas !
Marie sentit une bouffée de tendresse l’envahir. Se pouvait-il que Montmorency se soit fait piéger lui aussi ? Elle leva sur lui un regard navré et avoua :
— Je ne vous ai pas tout dit, Anne. Je vous croyais moi aussi dans son camp, prêt à me perdre pour de vils intérêts. Je me suis protégée. Et pour ce faire, c’est vous que j’ai livré au roi.
Anne demeura bouche bée. Marie lui expliqua sa visite à Poitiers en concluant par le message reçu du roi. Montmorency se laissa choir à ses côtés.
— Il n’est pas trop tard encore. Peut-être puis-je convaincre le roi, commença Marie.
Mais le connétable l’interrompit d’une voix brisée :
— Non. Il est juste que je sois puni pour mon silence, Marie. Ce fut une erreur. Stupide. Le comte de Châteaubriant a reçu ma visite fort civilement et je n’ai découvert, il est vrai, aucun témoin de ce qui s’était passé. Nulle trace de sang dans les chambres, et au contraire la confession d’un médecin qui, sous serment, m’a affirmé avoir assisté à l’agonie de Françoise trois jours durant, insistant sur le fait qu’elle avait refusé qu’on informe Sa Majesté de son malheur afin qu’il ne la vienne visiter et découvre décrépit ce visage qu’il avait aimé. Le comte m’a montré l’épitaphe qu’elle avait elle-même rédigée, m’a-t-il dit, peu avant de rendre son dernier soupir. De fait, Marie, je le jure, je n’ai rien trouvé. Catherine m’a moi aussi piégé. Un matin, elle m’a brandi sous le nez l’acte de donation du comte en ma faveur. « Il a apprécié à sa juste valeur que vous ayez fermé les yeux sur la vérité »,
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