La vengeance d'isabeau
Philippus en écarquillant les yeux sur le curieux dessin qui apparaissait soudain.
— Je n’ai rien fait, Paracelse, qu’un thème comme tant d’autres. Écartez-vous, vous le verrez mieux.
Philippus obtempéra et Michel rapprocha les bougies aux quatre coins. Alors il eut une vue de l’ensemble que formait cet enchevêtrement astral sur la feuille. Son cœur se serra. Devant ses yeux incrédules, une tête de loup se détacha distinctement, occultant les signes qui la composaient.
— Impensable, bredouilla-t-il.
— Ce n’est pas le plus étrange, mon ami. Le plus étrange, c’est ceci !
Michel saisit une plume et relia entre eux quelques points, des oreilles du loup jusqu’au bas de la feuille. Lorsque les traits se rejoignirent, ils formèrent une chaîne terminée en une croix.
Philippus revint se pencher au-dessus du parchemin, éberlué. Il ne comprenait pas ce que cette tête signifiait mais elle le troublait car il y voyait la marque de ce qu’il avait vécu et qui le hantait encore.
— Croyez-moi, Philippus, depuis que je suis enfant, j’ai composé des dizaines de thèmes de toute nature, pour diverses gens. Jamais, m’entendez-vous, je n’ai vu pareille étrangeté. Et cependant, ce n’est pas tout. La nuit prochaine, cette configuration sera de nouveau visible. Voilà pourquoi je ne crois pas au hasard ! Ensemble nous lèverons le voile sur ce mystère, mon ami. Depuis notre rencontre, j’ai consacré beaucoup de temps à comprendre, à interpréter les signes, à tenter de m’expliquer pourquoi nos chemins s’étaient croisés, quel enseignement vous pourriez m’apporter, quels en seraient le prix et la récompense. J’ai dû effectuer de nombreuses recherches pour en arriver fortuitement à cette évidence, car c’est le hasard qui me la fit voir, comme je m’écartais de cette table pour étirer mes membres endoloris : votre destin est lié à un loup.
— Certains peuples parlent de vies antérieures…
— J’ai entendu ces théories. L’Église catholique les rejette.
— Des sorciers pourtant en font état aussi. Je crois que l’Église a peur. Luther a évoqué en Allemagne l’hypothèse d’une réincarnation assurant la survivance de l’âme. Tous se sont dressés contre lui. Il en a abandonné l’idée tant elle est contraire au concept du Paradis et de l’Enfer. Si cependant on admet cette possibilité, croyez-vous que mon âme ait pu être celle d’un loup ? Car les loups possèdent une âme, Michel. Je le sais, j’ai vécu parmi eux. J’ai rencontré une femme qui possédait le pouvoir de se transmuter en louve les nuits de pleine lune. Quelles étranges et obsédantes questions !
— Je n’ai pas de réponse, Paracelse. Cette croix signifie peut-être la volonté de Dieu. Peu de temps après cette révélation, j’ai rencontré ce jeune médecin qui finissait sa promotion. Je savais qu’il vous croiserait à son tour et vous ramènerait pour que nous puissions ensemble trouver la clé de l’énigme. Savez-vous pourquoi ? Cet homme portait un sacquet à la ceinture. Je l’avais croisé plusieurs fois à la faculté. Ce jour-là, je l’ai bousculé en glissant sur une feuille humide. Le sacquet s’est rompu de son attache et a déversé sur le parterre de la faculté les huit dés qu’il renfermait. Je me suis penché pour l’aider à les ramasser : ils avaient formé en tombant la lettre « P ».
— Quelle coïncidence…
— Le doigt du destin, plutôt. Le hasard n’existe pas. Tout est écrit.
— Dans l’œuvre de Dieu…
— Je le veux croire car je suis chrétien, mais de nombreux peuples ne croient pas en Dieu, ne savent même rien de son existence, et cependant ils croissent et leur destin est tracé de même, mon ami. La vérité est sans doute plus vaste, mais il est rassurant de l’imaginer ainsi, de confier à Dieu le soin d’avoir créé toute chose et d’en savoir sa fin. Allons, il faut dormir à présent. La nuit nous happe en ses rets et l’aube n’est pas loin de poindre tant nous avions à nous dire. Demain, vous me raconterez toute votre histoire, ensuite nous attendrons que l’obscurité recouvre la ville, le pays et le monde. Alors les astres parleront.
Ils s’étendirent côte à côte sur le lit et fermèrent les yeux pour se plonger dans l’abîme des perplexités. À l’inverse de Michel, Philippus ne parvint pas à dormir. Il avait l’impression que, depuis la
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