La Violente Amour
envitaillement. Vous avez donc tout le temps voulu,
Monsieur de Siorac, pour compléter votre déguisure et vous installer en Paris
avant que le siège commence.
— En
Paris ? dis-je.
— Le roi,
continua Duplessis-Mornay sans battre un cil, vous donnera un permanent
passeport pour traverser nos lignes.
— Mais,
dis-je, si je dois, comme je crois, informer le roi de ce qui se passe en Paris
durant le siège qu’il envisage, il me faudra obtenir de la Ligue aussi un
passeport pour en saillir, quand je serai dedans.
— Le roi,
dit Duplessis-Mornay, qui paraissait trouver naturel de parler au nom de Sa
Majesté, étant jà accoutumé à parler au nom de Dieu en les grandes assemblées
huguenotes, le roi tient que vous trouverez bien un moyen pour vous le faire
donner.
— J’y
vais rêver. Mais, Monsieur Duplessis-Mornay, poursuivis-je, peux-je quérir de
vous pourquoi vous opinez que mon office en Paris sera non seulement fort
périlleux, mais très déconfortant.
— Pour ce
que, Monsieur, les vivres n’arrivant pas en Paris, vous y mourrez de faim.
Là-dessus, M.
Duplessis se leva, ajouta qu’il reviendrait le lendemain soir pour ouïr ma
décision, et s’étant derechef calfeutré de son chapeau et de son manteau, s’en
alla, aussi majestueux, bouché que débouché, si bien que je me permis de
m’apenser que peu lui servait de se cacher avec tant de soin, un œil avisé ne
se pouvant tromper à sa démarche, laquelle, assurément, était unique à la Cour.
Je n’eus pas à
attendre jusqu’au lendemain soir, pour ce que la nuit même, deux gentilshommes
ayant toqué à l’huis du logis, et Miroul ayant jeté un œil par le judas, et
demandé qui ils étaient, l’un d’eux qui portait lanterne la haussa sans mot
piper jusqu’à sa barbe, laquelle, à ne s’y pas tromper, était celle, fluviale
et prophétique, de M. Duplessis-Mornay. Miroul leur baillant alors l’entrant,
et au logis et en ma chambre, en laquelle justement je m’allais coucher, ayant
déjà quitté ma fraise et mon pourpoint, quelle ne fut point ma considérable
béance quand, Duplessis-Mornay s’écartant, dévoila le roi qui marchait derrière
lui et aux genoux de qui incontinent je me jetai :
— Ha !
Sire ! m’écriai-je, chez moi ! C’est trop d’honneur !
— Nenni !
Nenni ! dit le Béarnais en me présentant la main (laquelle, à vrai dire,
quand j’y posai les lèvres, sentait quelque peu l’ail) je n’y va pas à la
cérémonie. Je fais les choses rondement, à la vieille française !
Duplessis-Mornay, prenez place, je vous prie, sur ce cancan, et vous Siorac,
sur cette escabelle, et oyez-moi.
Nous ayant
ainsi fait l’un et l’autre asseoir, il se mit à marcher qui-cy qui-là dans la
chambre en si promptes et nerveuses engambées, que la pièce tout soudain parut
trop petite pour lui. Et moi le voyant ainsi déambuler et me ramentevant que
mon pauvre bien-aimé maître en faisait autant, dans ses moments d’anxieuseté,
avec moins de nerf, certes, mais avec plus de grâce, je ne pus que je m’apensai
derechef que le Béarnais n’était point tant beau que lui, ni de corps ni
surtout de visage, car pour ce qui est de sa face, si je la dois décrire
encore, je dirais qu’elle était longue et chevaline, traversée en sa longueur
par un interminable nez. Toutefois cette disproportion s’oubliait quand on
envisageait son front large et bossué, et surtout ses émerveillables yeux, si
vifs, si perçants et si goguelus.
J’en étais là
de ces réflexions quand virevoltant et se tournant vers moi, le roi dit en
gaussant :
— Ventre
Saint-Gris, Siorac ! La belle barbe ! Elle vaut quasi celle de
Duplessis-Mornay ! Sauf que la sienne est théologique et la tienne,
aventurière !
À quoi je ris,
et Duplessis ne sourit que de la moitié du bec. Ce que le roi observant, il
s’esbouffa, puis reprenant tout soudain son sérieux, il m’envisagea de ses yeux
clairs et brillants, et comme s’il eût deviné les sentiments qui l’instant
d’avant m’avaient exagité, il dit avec quelque gravité :
— Mon
ami, vous avez perdu un maître excellent. Mais vous éprouverez que j’ai succédé
en la bonne volonté qu’il vous portait.
— Ha !
Sire ! dis-je, je n’en doute pas ! et je ne doute pas servir sa
mémoire en vous servant, puisque vous travaillez comme lui à la réconciliation
des huguenots et des papistes en ce royaume.
Ceci plut
beaucoup au roi, mais non point
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