La Violente Amour
disant,
il posa une demi-fesse sur une escabelle comme quelqu’un qui ne fait que
passer.
— Nenni,
Monseigneur, dis-je, soyez-en assuré, je suis sain et gaillard et ne me ressens
plus du tout du coup d’estoc que je reçus sur le chef à la bataille d’Ivry.
— Mais,
Siorac, reprit-il en riant à l’étourdie, la main devant ses belles dents, comme
vous voilà fait ! Vous poussez une barbe ! Mais voyons, vous n’êtes
point tant vieil, ni si austère que M. Duplessis-Mornay !
— C’est
un vœu que j’ai fait, dis-je, fort mésaisé, raison pour quoi je ne saille non
plus du logis. Et plaise à vous, Monseigneur, de ne mentionner cette barbe à
personne à la Cour, sauf au roi.
— Je le
peux donc dire au roi, dit le Grand Prieur qui ne manquait pas de finesse et
entendait les choses à demi et, à la réflexion, poursuivit-il avec un connivent
sourire, je le lui dirai bec à bec. De reste, mon cher Siorac, poursuivit-il,
le ton passant tout soudain du léger au grave, si fort que je vous aime, je ne
suis ici que sur son commandement, et pour savoir comme vous allez.
Ayant dit, il
se leva, et me faisant un aimable salut en retour de ma génuflexion, s’envola
hors du logis en un battement de cil. Ce bel et brillant oiseau à tire-d’aile
enfui, lequel, n’était son resplendissant plumage, on eût pu prendre pour une
pie, touchant ses habitudes dérobantes et pipantes, Miroul me dit :
— Moussu,
ne me dites point que vous ne savez point où vous mène cette barbe : je ne
pourrais vous croire.
— Où ?
Mais je ne sais encore, mon Miroul, combien que je commence à m’en faire
quelque petite idée. Espère un brin. À mon sentiment, le jour ne se passera pas
sans que se pose céans un nouveau messager.
Et en effet, à
nuit tombante, apparut en mon logis, le chapeau sur l’œil fort rabattu, et la
face bouchée par son manteau, M. Duplessis-Mornay, que l’on surnommait le pape
des huguenots, comme je crois que j’ai dit, pour ce qu’il se piquait fort de
théologie, méditant jà un gros traité sur l’Eucharistie qui ne vit le jour que
dix ans plus tard, et fut incontinent par les théologiens papistes mis en
pièces. De reste, grand honnête homme, ayant l’oreille du roi, et d’autant que
Rosny faisait toujours l’Achille retiré sous sa tente.
M.
Duplessis-Mornay s’assit à ma prière sur l’unique chaire à bras que comportait
ma chambre, laquelle les dames appellent un cancan (se peut parce
qu’elles s’y assoient à l’aise pour jaser avec leurs amies) et une fois
débouché de son manteau et de son chapeau que lui quitta Miroul, il prit place
sur ledit cancan, comme il faisait toute chose, majestueusement, toutefois sans
piaffe aucune, mais de par le sentiment qui l’habitait continuellement que le
Seigneur l’avait choisi pour révéler ses commandements aux hommes. Ce qui se
peut n’était pas faux. Car du moins quant à son être corporel, Duplessis-Mornay
n’était pas sans ressembler étrangement à l’idée que nos peintres et nos
sculpteurs se font de Moïse sur le mont Sinaï, ayant, lui aussi, le front
ample, l’œil lumineux, la narine puissante, et une barbe non seulement plus
longue et touffue que ne le serait jamais la mienne, mais qui plus est, quasi
blanche déjà, encore qu’il eût alors à peine passé quarante ans.
— Monsieur
de Siorac ! dit-il d’une voix basse et profonde, le propos du roi, lequel
est encore secret, est de marcher sur Paris et avant que d’en faire le siège,
de s’emparer de toutes les places circonvoisines, afin que de fermer les
rivières et les routes par où les vivres parviennent à la capitale. La raison
en est que son armée, qui ne dépasse pas quinze mille hommes, se trouvant trop
estéquite pour qu’il puisse rêver emporter d’assaut la bonne ville, il ne peut
la réduire que par la famine.
— Monsieur,
dis-je en m’inclinant, je me sens excessivement honoré d’être mis dans la
confidence de ce plan.
— Le roi
ne peut que vous y mettre, reprit Duplessis-Mornay, puisque vous y avez votre
place, laquelle sera tout ensemble très périlleuse, très déconfortante et pour
le roi, si vous n’y faillez, très utile.
— Monsieur,
je vous ois, dis-je, le cœur me toquant fort à ce début.
— Un
mois, reprit Duplessis-Mornay, un bon mois s’écoulera sans doute avant que le
roi vienne à bout d’occuper les places qui, autour de la capitale, lui
livreront les clés de son
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