La Violente Amour
commandant une
armée du roi, a défait sous Senlis une forte armée de la Ligue.
— Défait,
Sire ? s’écria Rosny, ivre de joie.
— Défait
et mis à vauderoute ! Le duc d’Aumale et Balagny blessés !
— Voilà
qui est bien, dit Rosny, mais j’eusse préféré que le chevalier d’Aumale fût
navré, plutôt que le duc, lequel, à tout prendre, vaut mieux que son fils.
— Mais
qu’ois-je ? dit Roquelaure, un large sourire fendant sa rubiconde face.
Souhaiter mort et navrure au petit d’Aumale ! Un si bon catholique !
Un chevalier de Malte ! Et qui mieux est, abbé du Bec et général des
galères de la religion ! Raison pour quoi il a si bien dit sa messe en
l’église de Saint-Symphorien !
À quoi Navarre
rit, aimant fort que le catholique Roquelaure fît tout haut les réflexions
qu’il ne faisait lui-même que tout bas, étant, comme je l’ai dit déjà, si
ménager, et de l’Église romaine, et de ses dignitaires, et du pape, son grand
dessein étant d’accommoder un jour les deux religions pour asseoir la paix en
son royaume.
— Cependant,
dit Châtillon, dont la belle, austère et malenconique face ne s’était point
égayée au persiflage de Roquelaure, il est, parmi les ligueux, des gens d’une
autre farine que le chevalier d’Aumale : j’ai ouï dire, Sire, que Maineville
s’était fait, sous Senlis, fort vaillamment tuer.
— C’est
vrai, dit Navarre.
Là-dessus,
observant qu’au nom de Maineville, j’avais levé haut le sourcil, Navarre tourna
vers moi son nez en bec d’aigle et ses yeux perçants, et dit :
— Le connaissiez-vous,
Monsieur de Siorac ?
— De sa
personne, peu. De son action, prou. Car Maineville figurait dans tous les
rapports que me fît Nicolas Poulain avant la journée des Barricades et que je
communiquai au roi. Maineville animait grandement les ligueux de Paris, en leur
apportant les consignes, les commandements et les encouragements du duc de
Guise. Tant est que Sa Majesté, qui le tenait pour un ligueux encharné et zélé,
l’avait surnommé « Maineligue ».
— Voilà
bien, dit Navarre en souriant, l’esprit de mon beau cousin, dont le petit doigt
a plus de finesse que les cervelles mises à tas de tous ses conseillers. Rosny,
n’avez-vous point ouï conter partout que le roi est par eux poussé à aller
reconquérir la Bretagne contre le duc de Mercœur ?
— Je l’ai
ouï, Sire, dit Rosny.
— Ha !
J’enrage ! dit Navarre en marchant de long en large dans la pièce de son
pas de montagnard, ses gambes courtes et musclées comme avides d’escalader les
monts de son Béarn, j’enrage, Rosny ! C’est folie ! C’est folie toute
pure ! Le roi usera ses forces à nulle usance en ce pays ! Pour
regagner son royaume il lui faut rien de moins que passer sur les ponts de
Paris, et, Ventre Saint-Gris ! Après Bonneval, après Senlis, nos armes
partout victorieuses, le moment en est venu ! Il est là ! Il le faut
saisir ! La Bretagne, Ventre Saint-Gris ! C’est tourner le dos à la
victoire que de s’y aller fourvoyer ! Si le roi fait diligence, comme
j’espère il fera bientôt, mes amis, bientôt, nous reverrons les clochers de
Notre-Dame de Paris !
Ce bouillant
propos me jeta quasiment hors mes gonds par l’enthousiasme qu’il me bailla, et
observant qu’il produisait le même effet sur tous ceux qui étaient là, je
m’apensai en cette occasion comme en mille autres qui suivirent, que Navarre
était avec ses gentilshommes comme le levain dans la pâte : il les faisait
lever par la seule vertu de sa langue gasconne, si prompte, si parleresse, si
frétillarde, et trouvant, sans jamais faillir, les mots qu’il fallait aux
moments opportuns. Les mots, et non comme mon bien-aimé souverain, les
discours, car la rhétorique du Béarnais était toute en saillies, boutades et
dictons, sans apprêt aucun, rustique mais forte, et tant entraînante que s’il
galopait, fort en avant de nous, l’épée au poing – ce qu’il ne manquait
jamais à faire, au reste, en ses combats.
Nous ne
restâmes que la journée à Beaugency, pour ce que Navarre voulut gagner
Châteaudun, où nos cinq cents arquebusiers à cheval, n’ayant pu prendre
Chartres, s’étaient mis. Et là, attendant que le roi se décidât à marcher avec
Navarre sur Paris (comme Navarre, par ses lettres, l’en avisait tous les jours)
nous séjournâmes en la bonne ville huit à dix jours en très grande liesse, et
quant à moi,
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