La Violente Amour
suffisances.
— Lesquelles
grandeurs de tout cœur vous souhaite, Monsieur de Rosny, dis-je avec un salut.
— Lesquelles
pour vous je n’appète pas moins, dit Rosny en inclinant la tête, mais du ton
dont il prononça cela, je vis bien qu’il doutait que mes grandeurs
atteignissent jamais à la demi-cime des siennes. En attendant, poursuivit-il
avec enjouement, vous m’obligeriez, Monsieur de Siorac, puisque aussi bien vous
êtes de mes gentilshommes, à grossir grandement votre suite, augmentant
d’autant la mienne.
— Ha !
certes, dis-je, je le ferai, s’il y va de votre gloire autant que de la mienne.
Mais donnez-moi avis, de grâce ; jusqu’où dois-je aller en cet
effort ?
— Beaucoup
plus loin que vous n’êtes et beaucoup moins loin que moi, qui suis au-dessus de
vous, le roi de Navarre vous ayant à moi donné. Tant est que vous devez être
mon reflet, sans toutefois égaler mon éclat.
— Monsieur
de Rosny, dis-je avec un nouveau salut, je vous ois.
— Eh bien,
partons de mon exemple et de mon train de guerre. J’ai attaché à ma personne un
médecin, La Brosse. Un masseur, un fol, un cuisinier, un diseur de bonne
aventure, un comédien qui me lit les poètes, deux secrétaires, MM.
Choisy-Morelli et La Fond, deux écuyers, M. La Vergne, que vous connaissez, et
M. Maignan qui me doit rejoindre céans, deux valets d’armes et quatre
pages :
— Quatre
pages ?
— Primo, un page de la chambre qui me sert en mon domestique, m’apporte pantoufles et
bougeoir, dispose ma coite, me sert à table, et qui m’est, en bref, une sorte
de chambrière, sans cependant descendre à ces basses usances, lesquelles Calvin
condamne, mais hélas ! ne sont point rares en campagne, même chez des
seigneurs qui de leur naturel ne s’adonnent point à la bougrerie. Secundo, un page d’écurie, qui panse et cure mes chevaux. Tertio, un page de
mission que j’envoie par pays porter lettres missives, ou mot de vive bouche. Quarto, un page de combat qui porte mon arquebuse et me fournit en estoc
quand le mien vient à briser. C’était là la charge du pauvre Moineau et vous
savez ce qu’il est advenu du discourtois vilain qui l’a occis à Bonneval.
— Comptant
les pages, dis-je comme effrayé, cela fait seize bouches à nourrir et seize
corps à vêtir ! C’est prou !
— Touchant
votre personne, dit Rosny, vous pourriez vous contenter du tiers. Si m’en
croyez, Siorac mon ami, ayez deux pages. L’un pour votre domestique, l’autre
pour le combat. Un écuyer qui soit de bonne maison, qui charge vos pistolets,
vous épaule au chamaillis et vous fasse honneur à la Cour. Deux valets d’armes
et d’écurie. Et enfin votre Miroul qui sera tout ensemble votre secrétaire et
le gouverneur des pages et les fouettera, à l’occasion, et l’occasion s’en
présentera, ces coquelets, à peine sortis de leurs coquilles, étant hardis et
turbulents. Qui aime bien châtie bien.
— Je les
aimerai bien, Monsieur le Baron, dit Miroul, l’œil bleu froid comme glace et
l’œil marron fort marri, car le pensement qu’il ne serait plus le seul à régner
sur mon domestique le prenait très à rebours de son estomac.
— Ha !
dis-je, voilà qui est bien, mais comment donner pain à tout ce monde ?
— Mais
par la picorée, dit Rosny en levant le sourcil. La guerre nourrit fort bien son
homme, quand elle ne le tue pas. En 1580, après la prise de Cahors, mes gens,
diligentés par moi à trouver provende dans le sac de la ville, me dénichèrent
une cassette de fer, laquelle, à l’ouverture, découvrit quatre mille beaux
écus. Et pour tout dire, il n’y a eu, depuis, combat victorieux qui ne m’ait
rapporté clicailles, sans compter les prisonniers nobles que j’ai faits et qui
m’ont dû verser rançon. Raison pour quoi, Siorac, votre suite vous aidant à
faire votre fortune, il vous faut choisir vos gens, non point seulement pour
leur vaillance, mais pour leur adresse, leur œil vif et leur main prompte.
Qu’ils soient même un peu fripons ne serait pas à regretter, pour peu qu’ils
vous soient fidèles.
Ayant dit, et
le cœur content d’avoir réglementé les affaires de mon domestique, et aidé à ma
gloire, à mes prospérités et partant, en quelque mesure, aux siennes, Rosny
s’en alla, me laissant avec Miroul, lequel, l’huis à peine reclos, me dit, ses
yeux vairons lançant des flammes :
— Moussu,
pour le coup, cela est insufférable ! Passe encore de
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