La Violente Amour
que je vis fort décidé à me bailler sa compagnie,
laquelle, à dire le vrai, m’agréa d’autant plus qu’il ne cessa tant qu’il fut
avec moi, de chanter le los et louange de mon roi.
— Ha !
Monsieur le Baron ! dit-il, sa voix montant en fausset dans les notes
aiguës et ses doigts courts voltigeant dans l’air, que le Seigneur tienne en sa
Sainte garde le roi Henri Troisième et pour le royaume de France, et pour ses
serviteurs, car je vous le dis et déclare, comme la vérité de Dieu :
jamais prince ne fut mieux voulu des siens que celui-là pour son exquise
bénignité, laquelle, si vous ne la connaissiez déjà, vous avez ce soir touchée
du doigt. Primo, moi qui suis grand, assurément, dans la maison du Grand
Prieur, mais petit vermisseau dans la sienne, il a daigné se ramentevoir mon
nom. Secundo, surprenant le Grand Prieur à dissiper sa pension, il a
préféré louer en gaussant sa libéralité que blâmer ses débours. Tertio, il m’a commandé de ne révéler sa royale présence à son neveu qu’une fois sa
repue finie. Quarto, il s’est inquiété de votre souper, et vous
plaignant quelque peu d’attendre (ce dont lui-même ne se plaignait point) il
vous a donné en compensation la compagnie de son neveu pour après le souper et,
par contrecoup, la sienne. Cinquo, condescendant à attendre lui-même
dans le jardin le bon plaisir du Grand Prieur, qui est pourtant bien au-dessous
de lui dans l’État, il a eu un mot des plus aimables pour le maréchal et les
seigneurs qui le suivaient. Monsieur le Baron, pouvez-vous imaginer en si peu
de minutes une telle pluie et rosée de bienveillantes gentillesses sur les gens
qui se trouvaient là, lesquelles grâces ne saillent, si promptes et si
naturelles, de Sa Majesté que parce qu’elles lui viennent de son immense cœur
et du souci qu’Elle a des autres…
À ouïr ces
propos, lesquels me ravirent, tant je les trouvai aptes et clairvoyants, je
sentis disparaître le ridicule que je voyais en Guimbagnette et croître mon
estime pour lui, m’apensant qu’il ne pouvait y avoir de bassesse en un
guillaume qui louait son prochain, fût-il un prince, à si bon escient et sans
rien rapetisser ni rabattre. Tant est que je me sentis plus indulgent pour les
quelques petits écus que Guimbagnette sauvait au passage du gouffre afin
d’assurer, comme il disait son petit préciput.
Le pourvoyeur
dudit gouffre entra à ce même moment dans l’antichambre, fort jeune et fort
beau en un splendide pourpoint de satin bleu pâle garni de deux rangées de
perles, son teint clair, fort animé par ses viandes et ses vins, le cheveu
exquisement testonné en bouclettes noires, l’œil en fleur et la lèvre
vermillonne. Guimbagnette de lui s’approchant avec un profond salut où il
mettait toutefois une sorte d’affectionnée familiarité, lui dit qui j’étais et
que le roi l’attendait au jardin. Quoi oyant, le Grand Prieur, dont l’abord
était fort aimable et les manières très cajolantes, me retint de me génuflexer,
me prit la main et la retenant dans les siennes, me dit qu’il avait ouï les
signalés services que j’avais rendus à son bien-aimé oncle et souverain, et
dans les temps avant les barricades, et dans ceux de la présente guerre, et
qu’il tenait à grand honneur d’être mon hôte, comme Henri le lui avait
commandé.
Ayant dit et
moi le suivant, il passa alors au jardin, lequel je n’avais qu’entr’aperçu
quand le roi y avait pénétré, et qui se trouvait, en effet, fort beau, à le
voir mieux, étant couvert des fleurs de la saison dont d’aucunes fort
odorantes, lesquelles çà et là des lanternes éclairaient en mystérieuse féerie,
pour ce que la nuit de cette fin juillet était lors tombée, le sentier que nous
suivions menant par une pente insensible à un grand balcon au-delà duquel il
n’y avait que le vide, et d’où se voyait une boucle de la Seine (qu’on ne
devinait qu’aux barques à voiles éclairées qui couraient dessus) et plus loin,
les lumières de Paris, et les murailles qui la défendaient, au pied desquelles
les assiégés entretenaient de grands feux pour tâcher de prévenir les attaques
nocturnes.
Le roi était
accoudé à la rambarde du balcon à s’entretenir avec le maréchal de Biron du bon
ordre qu’il voulait que ses armées tinssent en entrant dedans Paris, sans
qu’aucun des manants et habitants fût molesté ou navré, le soldat ne devant
rien prendre qu’il ne payât ;
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