La Violente Amour
une
intempérie ?
— Fort
grave, dis-je gravement, mais que je peux curer de la façon que tu as
soufferte – la médication étant quotidienne.
— Voire
mais ! dit-elle avec un petit pétillement de son œil noir. Pourrais-je
chanter, si je guéris ?
— Tous
les matins.
— Je ne
sais, Moussu lou Baron, si j’appète à chanter le matin.
— Et
pourquoi donc ?
— L’auzel
que canta lo matin, lo ser sera plumat [12]
Dicton que les
mères dans notre Sarladais enseignent à nos filles dès la première tétée et
qu’elles répètent, pour les rebéquer, à leurs galants, dès qu’elles sont d’âge
à être entreprises. Et rebéqué j’étais bel et bien à la voir tout soudain se
génuflexer devant moi, son œil noir me jetant un gaussant regard, son ample
cotillon virevoltant autour de son petit corps, et disparaissant par l’huis,
lequel fut déclos et reclos en un tournemain. Ha ! peste ! m’apensai-je,
suis-je pris ? Appâté par cette petite langue entre mes lèvres
s’attardant ? et hameçonné dans le temps où je la voulais prendre ?
Ce n’est point
que Babille ne frétillât pas, s’attardant chaque matin en ma chambre jusqu’à ce
que j’y advinsse, tant est que je ne savais plus lequel des deux était accroché
à la ligne de l’autre, et combien de temps encore cette petite souris allait
jouer autour de mes moustaches, tout gros matou que je fusse.
— Babille,
dis-je un matin, c’est assez m’amuser. Vas-tu à la parfin accepter mes bonnes
curations ?
— Nenni,
Moussu lou Baron, dit-elle, son œil, sa lèvre et son petit corps se
trémoussant, disant « non » à ce « non ». Pourquoi curer
qui est saine ?
— Pour
que saine elle soit davantage.
— Ou plus
grosse . La filha vay sovent purant lo rire de i a un an [13] .
— Pourquoi
« pleurant », Babille ? Irais-je, grosse, t’abandonner ?
— La
prumiera annada, naz à naz. La segonda, bras à bras. La tréziema :
Tire-t’en lay [14] !
— Babille,
ne sais-tu parler que par dicton ? Ne vois-tu pas que j’ai grand appétit à
toi ?
— Ios
d’une ora e filha de quinze ans son de bossins friands [15] .
— Babille,
dis-je en sourcillant, assez de ces proverbis de mierda ! Que si je
te forçais, ne le peux-je ? N’en ai-je pas le droit ? Qui trouverait
à y redire ?
— Mais
moi ! dit la péquègne, dressée comme un petit serpent de toute sa taille
menue. En outre, on ne force pas filles à Mespech, tout grand coq que soit
Moussu votre père. Raison pour quoi mon père m’a donnée à lui.
— Babille,
dis-je en sourcillant, tu as toute honte bue et toute vergogne avalée de parler
ainsi du baron.
— Hé
pourquoi ? Qui ne louerait un coq d’être coq ? C’est aux poules de se
garder.
— Si
point de coq, des œufs, certes ! Mais point de poussins !
— Moussu,
le temps n’est pas venu des poussins pour moi. Pucelle suis.
— Babille,
il faut bien commencer un jour.
— Oui-da,
avec mon mari.
— Qui te
battra.
— C’est
affaire à lui.
— La
peste soit de cette garce rebelute ! dis-je en lui tournant le dos et en
marchant vers l’huis. La vérité, c’est que tu me trouves trop barbon pour toi.
— Per
tant vielh siasque lo boc
Mas que la
craba siasque de sazon [16] .
— Quoi ?
dis-je en revenant à elle, le sourcil haut et lui posant les deux pattes sur
les épaules, que dis-tu ? La chèvre est prête ?
— Oui-da !
dit-elle sans branler sous ma main et affrontant mon regard avec la dernière
effronterie : mais à dès conditions…
— Tiens
donc ! Vramy ! La place parlemente avant que de se rendre ! On
barguigne ! On négocie ! Voyons ces conditions !
— La
prumiera, que je sois la seule à Mespech à défaire céans le lit que je
fais. La segunda, que si je suis grosse, on élève le pitchoune au
château. La tréziema, c’est que Moussu votre père me marie au
département de son fils, comme il a fait pour la Gavachette.
— Et la
quatrième ? dis-je.
— C’est
que Moussu lou Baron me donne bague en or plus grosse et plus belle que celle
de la Gavachette.
Cornedebœuf !
Cette bague que j’avais eu la folie de rapporter de Paris à la Gavachette en
1572 – Babille n’étant pas née ! — dix-sept ans plus tard on en
jasait encore dans tout le pays alentour…
— Babille,
dis-je, serais-tu chiche-face ?
— Nenni,
Moussu. Mais j’ai ma hautesse, mon père ayant beau mas, et
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