La Volte Des Vertugadins
et
franche démission, je plais à Votre Majesté. Oui, Sire, je m’en désiste pour
jamais et souhaite que cette nouvelle amour vous apporte autant de joie que sa
perte me causerait de tristesse, si la considération de Votre Majesté ne
m’empêchait de la ressentir.
Prêtant à Bassompierre l’amour outré qu’il éprouvait pour
Mademoiselle de Montmorency, le Roi s’était attendu sans doute à une résistance
si acharnée qu’elle appellerait de sa part menaces et violences. Je vis bien, à
l’émotion qu’il laissa paraître au discours de son favori, combien il était
soulagé et touché par un désistement si rapide et si entier. Comme on l’y
invitait, il voulut croire qu’il le devait davantage à l’affection de son
favori qu’à la toute-puissance de son sceptre. Les larmes lui montèrent aux
yeux et, se penchant, il accola Bassompierre, le baisa sur les deux joues,
l’assura de sa gratitude, et lui jura que désormais, il le considérerait comme
son fils et ferait sa fortune.
Aux larmes succéda dans ses yeux le rayonnement de la joie
la plus folle : Bassompierre écarté, il pensait toucher au but. Assuré de
l’assentiment du Connétable et de Charlotte, il se faisait fort d’obtenir
l’accord du Prince de Condé, lequel, à cette heure même, dormant innocemment
(quoiqu’avec un de ses pages) ne savait rien encore du mariage que le Roi avait
décidé pour lui ni du rôle que, « préférant la chasse aux dames », il
devait y jouer.
Dans le transport d’espérance qui le soulevait, le Roi me
parut oublier quelque peu son mal et redevenir plus gai et plus actif. Ayant
commandé au valet d’apporter dans la ruelle une petite table et trois
tabourets, d’une voix gaillarde il convia Bassompierre, Bellegarde et
Roquelaure à jouer avec lui aux trois dés. Il s’ensuivit pour moi une heure
interminable pendant laquelle je n’osai ni demander mon congé ni bouger de ma
place.
Que ce soit dans un tripot ou dans la chambre d’un roi,
c’est tout un : rien n’est plus monotone pour qui ne joue pas que le
roulement des dés sur la table, l’annonce des points, le bruit des écus que
l’un jette avec rage, que le gagnant met en tas avec soin, les vantardises, les
menaces enjouées, les interjections de dépit ou de victoire.
Le Roi paraissait tout à son affaire. Il jouait avec
Bellegarde contre Bassompierre et Roquelaure et d’après les piles d’écus qui
grandissaient devant lui, il gagnait. Le teint animé, les yeux brillants, il ne
sentait plus guère, me sembla-t-il, les élancements de sa goutte et il était
clair qu’il m’avait tout à plein oublié, moi sur mon tabouret, le roman qu’il caressait
dans sa tête entre deux coups de dés effaçant les charmes de celui qui reposait
sur mes genoux.
J’admirais la puissance que Bassompierre avait sur ses
émotions, car son visage, que de temps à autre j’effleurais du regard, ne
reflétait que l’intérêt qu’il portait au jeu. À part cette attention, il ne s’y
pouvait rien lire, et pas même la contrariété du joueur malchanceux, car pour
une fois, il perdait beaucoup. Je me ressouviens que je me fis cette réflexion
que la protection de sa fée allemande l’abandonnait, et dans tous les domaines.
J’eus quelque vergogne, après coup, d’avoir pensé cela, me ramentevant que mon
père ne voyait que sottise dans cette superstition païenne.
À cet instant, et sans que Bassompierre battît un cil,
Vitry, que l’huissier avait appelé à la porte, s’approcha de la ruelle pour
annoncer au Roi que Madame la Duchesse et Mademoiselle de Montmorency
désiraient le visiter. Vitry fit cette annonce non point en chuchotant à son
oreille, comme avait fait Montespan la veille, mais d’une voix haute et
claire : preuve que le capitaine des gardes avait tiré de l’entretien du
Roi avec Bassompierre la conclusion que le secret n’était plus de mise.
Les dames entrèrent et je ne sais comment la chose se fit,
mais cette fois Mademoiselle de Montmorency, par un audacieux renversement
d’étiquette, précédait la Duchesse d’Angoulême. Et de quel air elle entra dans
cette chambre ! Jour de Dieu ! Quelle hauteur elle mit dans
l’humilité affichée de sa révérence, traitant le Roi quasiment en égal !
La reine de France n’eût pas fait mieux !
Reléguer comme la veille la Duchesse sur mon tabouret et
installer Charlotte dans la ruelle n’était plus possible. La ruelle était
occupée par la
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