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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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la soirée de son emprisonnement, elle
raconta, en pesant chacun de ses mots, qu’elle avait oublié le couvre-feu, à
cause d’un dossier important, et qu’elle était descendue du métro à la station
Sherbrooke.
    – Comme tous les jours.
    En se hâtant dans la rue Cherrier, elle avait
aperçu l’obusier sur le terre-plein, tout près de la rue Saint-Denis, et
n’avait pas résisté à l’envie d’aller vérifier s’il y avait quelque chose dans
le canon, puisqu’on disait qu’il servait de boîte aux lettres secrète aux
felquistes et ? leurs sympathisants.
    – Comment le savais-tu ?
    – Au Chat-Noir, Jean-Charles, on entend
plein de choses. J’allais rentrer ici quand quelqu’un m’a mis une main sur
l’épaule, et on est entrés à cinq.
    – Cinq ?
    – Oui. Il y avait un militaire armé, de
quoi me rendre malade, un policier municipal qui se prenait au sérieux en tit - pépère ,
un peu comme l’escouade anti-émeute à la manifestation devant l’université
McGill…
    – T’étais là, Micheline ? Il me
semble qu’une avocate…
    – Maman, laisse-la parler.
    – Un policier de la Sûreté du Québec et
un agent de la Gendarmerie royale. Finalement, il y avait deux instances
provinciales et deux instances fédérales. Ils ont fouillé l’appartement de fond
en comble et ont saisi quelques-uns de mes livres… C’est tellement ridicule !
    – Quels livres ?
    – De la poésie de Gaston Miron, de Gérald
Godin, une pièce de Racine, un livre de sociologie sur les kibboutz en Israël,
et, ce qui m’a achevée, mon beau poster de Che Guevara.
    – T’avais un poster de Che Guevara ?
    – Oui, parce que je le trouve beau. En
fait, je trouve que tu lui ressembles, Jean-Charles.
    Blanche était mal à l’aise devant cette
visible intimité, et Élise se frottait le ventre. Micheline raconta ensuite
qu’ils l’avaient emmenée, qu’elle avait franchi la grille de la prison non pas
comme avocate mais comme prisonnière, et qu’elle n’avait pu plaider sa cause ni
celle des autres femmes, la Loi sur les mesures de guerre ayant rendu caducs
leurs droits civils.
    Chacun s’absorba dans ses réflexions. Élise
languissait de retourner à la campagne pour y trouver la paix, la fameuse loi
n’y étant pas aussi manifeste. Blanche remerciait le ciel et ses hôtes.
    Micheline rompit soudain le silence par de
profonds sanglots d’épuisement, d’impuissance et de soulagement.
    – J’ai l’impression d’avoir été
violée !
    – Maudit Trudeau à la marde !
    Elle se réfugia dans les bras de Jean-Charles
tandis qu’Élise et Blanche lui préparaient un bain. Ils attendirent qu’elle en
sorte avant de s’en aller. Sans parler, sans pleurer. Assommés.
    Pendant ce temps, Marcel tournait en rond en
se tapant dans les mains de plaisir. Sa seule déception était qu’il n’arrivait
à joindre personne pour discuter de la grande délivrance de la France. Charles
de Gaulle était mort et les pauvres Québécois n’avaient pas encore fini de ramasser
les pots qu’il avait cassés.

– 32 –
     
     
    Élise et Jacqueline s’affairaient dans la
serre, une brouette de terre remplie à ras bords d’une belle terre riche
qu’Élise avait préparée à l’automne, avant les événements d’Octobre. Si elle
avait été bouleversée par ce qui s’était produit dans la province, elle l’avait
été davantage par l’emprisonnement de sa sœur pour un insignifiant geste de
curiosité.
    Les fêtes avaient été un peu ternes malgré
l’arrogance du ventre d’Élise, qui poussait sur la vie, tandis que Micheline,
forcée de vivre en apnée pendant plusieurs semaines, avait fait bonne figure,
sans plus. Elle n’avait pas voulu passer sa semaine de congé à la campagne,
préférant rester chez elle.
    – Il faut que je me refasse une santé
entre les deux oreilles, Élise.
    – Justement ! Tu ne serais pas mieux
à la campagne ?
    – Non. Je serai très bien chez moi, dans
mon fauteuil, à lire Gaston Miron et Gérald Godin, dont j’ai racheté les
livres. Je veux me rattraper au cinéma, voir Easy Rider et peut-être Z ,
si le sujet ne me rappelle pas trop le mois d’octobre.
    – Sûre ?
    – Sûre, et puis, aussi bien l’avouer,
j’ai plus de chances de voir Jean-Charles à Montréal qu’ici.
    Élise s’était troublée. Elle avait perçu dans
la voix de sa sœur une fragilité que Micheline s’autorisait rarement.
    – Tu l’aimes, celui-là,

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