L'abandon de la mésange
ex-fiancé.
Élise avait éclaté de rire et avait
chanté : I’m Henry the eighth I am, Henry the eighth I am I am…
– Au moins, il ne vous tuait pas !
Vous vous contentiez de l’attendre…
– On se contentait… Façon de
parler ! On n’avait pas le choix…
– Tu l’as, maintenant. Ton Bernard n’est
quand même pas un Barbe-Bleue…
– Je me méfierai toujours.
– Penses-tu ? Il est tellement
amoureux !
– Mais il travaille à Drummondville et je
n’ai pas envie d’attendre, comme tu le fais avec Côme.
– Alors, laisse-le sécher comme un
pruneau, puis quand il va être assez sec, tu le prendras. Ça va te
déconstiper !
– Je ne sais pas si c’est les hormones,
mais je te dis que tu n’as plus la langue dans ta poche !
– De toute façon, ça n’a aucune espèce
d’importance, parce que la seule poche que j’ai, c’est la poche de mon tablier,
et elle n’est pas bien profonde…
Côme tentait de s’absenter le moins souvent
possible. Il n’acceptait plus de contrats ailleurs qu’à Montréal ou à Québec.
Il rentrait toujours pour dormir et Élise avait mis ses appréhensions en
veilleuse. Il y avait longtemps qu’elle n’avait plus senti de parfum qui lui
fût étranger. Elle n’en avait parlé à personne, mais, pendant longtemps, Côme
avait fleuré le Chanel n o 5 . Ces soirs-là, elle avait
mis ses vêtements à tremper dans la machine à laver. Depuis que Côme passait
ses nuits à la maison, elle avait manqué à sa parole et recommencé à laver ses
sous-vêtements.
Le mois de février, qui n’avait que vingt-huit
jours, fut interminable. Jamais les journées d’Élise n’avaient été aussi vides.
Alors qu’elle n’avait jamais vu le temps passer depuis qu’elle habitait à
L’Avenir, elle ne savait plus comment s’occuper. La chambre du bébé était
prête, les tricots étaient bloqués, lavés et rangés, les autres vêtements
aussi. Une voisine dont les yeux avaient quatre-vingt-quatre ans d’usure lui
avait appris comment faire une courtepointe et elle avait tout juste eu le
temps de la terminer. Elle avait peint des animaux, dont la petite grenouille
du pyjama, sur les murs, et il lui tardait d’entendre la berceuse du mobile,
jour après jour, soir après soir.
Dans deux semaines tout au plus, elle aurait
accouché, et sa vie serait enfin enrichie, remplie de bonheur à ras bord. Cette
maternité qu’elle attendait depuis si longtemps la comblerait. Elle imaginait
déjà le bébé dans le traîneau, puis dans le landau qu’elle pousserait dans les
champs. Son bébé entendrait le cricri des grillons et le meuglement des vaches.
Son bébé verrait le soleil se lever derrière la grange et les aurores boréales
éclairer la fenêtre de sa chambre. Son bébé se traînerait dans le jardin et
goûterait certainement à la terre. Vivement qu’elle l’étreigne pour pouvoir le
renifler !
– La nature est tellement bien faite,
maman. Je me trouve affreuse, j’ai mal aux jambes, j’ai les pieds enflés, le
souffle court et tout… Ce qui fait que, même si j’adore être enceinte, comme
les autres, j’imagine, j’ai hâte d’accoucher. Tu viens toujours ?
Blanche et Élise avaient convenu qu’elle
arriverait durant la deuxième semaine de mars, l’accouchement étant attendu
vers le 13. Côme en avait pris ombrage, voyant dans le souhait de sa femme un
manque de confiance envers lui.
– J’ai tout chamboulé pour être ici à
partir du 10. Je vais mettre les bouchées doubles pour ne pas entendre sonner
le téléphone pendant au moins une semaine.
– Et moi j’ai besoin de ma mère.
– Pour faire quoi ? On a suivi nos
cours prénatals, j’ai appris à te masser les reins…
– Je veux que ma mère voie immédiatement
son petit-enfant.
Côme savait inutile toute discussion. Depuis
qu’Élise avait la certitude qu’elle serait mère, elle avait discrètement pris
les commandes non seulement de la ferme et de la maison, mais aussi de la
comptabilité. Elle jetait même parfois un regard sur la planification de son
mari.
– Pas touche, Élise ! C’est mon
travail.
– Mais je sais, mon amour. J’essaie
simplement de voir comment on va s’organiser pour passer le plus de temps
possible avec bébé.
Elle lui jetait alors un regard narquois, qui
lui interdisait de dire tout haut qu’il ne tenait pas à passer autant de temps
avec bébé et que les soirées et les fins de semaine seraient bien
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