Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
Vom Netzwerk:
hein ?
    – Je l’aime à ma façon, Élise, sur mon
terrain, jamais sur le sien. Mais quand il est sur mon terrain, je laisse
toujours mon visiteur l’emporter. Les jeux sont faits d’avance.
    Dans la serre, Jacqueline et Élise
remplissaient les petits pots et les barquettes de carton mâché collectionnés
dès le mois de mai. Élise humait la terre et l’émiettait dans ses mains avant
de la sasser entre ses doigts.
    – Quelle merveille !
    Elle ne sema que des laitues, « toutes
sortes de laitues », des fines herbes, « toutes sortes de fines
herbes, même celles que je ne connais pas », et des fleurs, « plein
de fleurs », vivaces ou annuelles. Les deux amies travaillèrent pendant
deux bonnes heures avant de rentrer pour regarder à la télévision, un peu
inquiètes, l’alunissage du LEM de la capsule Apollo XIV .
    – J’espère que ça va aller mieux que pour Apollo XIII.
    Ce jour aurait été celui du soixante-septième
anniversaire de Clovis et sa fille savait que jamais il n’aurait cru les hommes
capables de faire une promenade sur la Lune.
    – Je pense que sa plus grande prédiction
aura été de me dire qu’il y aurait des avions immenses.
    Élise ne savait plus dans quel monde naîtrait
son enfant, mais elle faisait confiance à l’avenir. Elle avait tout ce qu’elle
pouvait souhaiter, un ventre rempli de promesses, et un mari attentif,
quoiqu’un peu girouette. Une sœur qui ne vivait pas tout à fait à la même
époque qu’elle, mais qui, si elle se heurtait à une porte fermée, prenait son
élan pour l’enfoncer, et une mère dont elle admirait tout : la classe, la
discrétion et le savoir-faire.
    – Comment trouves-tu ma mère,
Jacqueline ?
    – Belle, avec des beaux yeux. Mais,
choque-toi pas, je la trouve triste. Tu sais ? On dirait parfois que son
regard décroche du présent.
    – Tu ne me choques pas, je le vois aussi.
Elle va avoir soixante-trois ans cette année. Je me demande à quoi ça
ressemble, l’avenir, quand on a cet âge-là.
    Elles se turent et Élise pensa à Marcel, qui
la bichonnait comme s’il l’avait choisie lui aussi et encore plus depuis
qu’elle portait son héritier. Elle pensa aussi à la famille Philippe, qui lui
avait fait parvenir un pyjama de bébé, jaune, sur lequel souriait une
grenouille verte. Quant aux Avoine, ils avaient promis une surprise qui
arriverait en même temps que le bébé.
    L’astronaute sautillait sur le sol lunaire et
Élise pensa à ses récoltes, qui avaient été bonnes, et à son pain, qui levait
toujours bien. Ses fèves au lard n’étaient pas trop grasses et son caveau
regorgeait de beaux légumes. Ses conserves étaient populaires, surtout son
chutney aux fruits. Elle était heureuse de pouvoir se contenter d’un bonheur
aussi simple, ce que la citadine Micheline ne pouvait absolument pas
comprendre.
    – Dis-moi que si tu avais trouvé une
maison sans électricité, tu l’aurais fait brancher.
    – Pas sûr ! Ça aurait eu son charme…
    – Tu me décourages ! Quant à maman,
on n’en parlera pas…
    – Pourquoi pas ?
    – Je crois qu’elle trouve que tu as
aiguillé ta vie à l’envers. Je dis bien « je crois ». Elle ne m’en a
jamais parlé.
    Au village, on connaissait Élise et elle
connaissait tout le monde. Elle aimait bien cette complicité de la
promiscuité ; sa sœur, elle, connaissait à peine ses voisins, et encore,
uniquement de vue. Jamais elle n’aurait pu, à l’instar de Micheline, courir
dans la ville, d’une rame de métro à une autre, faire la queue partout et tout
le temps, être forcée de prendre l’autobus pour aller au marché Jean-Talon ou
Atwater, ou rouler en ville et rager en cherchant du stationnement. Non. La vie
était tellement plus agréable quand on se penchait pour cueillir son concombre
ou sa tomate, quand la cuisine embaumait le pain, quand on permettait à son
ventre d’enfanter au lieu de… Élise n’alla pas au bout de sa pensée. Elle
s’entêtait à ne plus songer au New York ordurier qu’elle avait connu.
    Elle et Jacqueline se voyaient moins
fréquemment depuis que cette dernière avait un amoureux qui l’avait demandée en
mariage. Jacqueline avait refusé net et pris ses jambes à son cou. Élise
passait de nombreuses heures à l’écouter raconter ses craintes et la bigamie
avortée de son ex-fiancé.
    – Est-ce que je t’avais dit, Élise, qu’il
s’appelait Henri ?
    – Qui ?
    – Mon

Weitere Kostenlose Bücher