L'abandon de la mésange
Micheline est-elle allée s’enliser ! Ça
aurait été tellement plus simple si elle l’avait épousé au lieu d’être sa
maîtresse. Voilà, je l’ai dit, mais ce mot, cette situation, me puent au nez.
Élise s’approcha de sa mère et la prit dans
ses bras.
– Tu vas pouvoir respirer, maman.
Micheline a quitté Claude.
– Qui t’a dit ça ?
– Claude.
Blanche alla se verser un verre de gin mêlé de
Seven-Up, qu’elle but d’une gorgée. Malgré son énervement et son angoisse,
Élise éclata soudain de rire, ce qui fit sourire sa mère.
– Bon, assez ri. Qu’est-ce que tu
proposes que nous fassions, Élise ?
– Du piquetage devant la prison.
– C’est illégal, surtout sous la Loi sur
les mesures de guerre.
– Je m’en fous, maman ! Ils vont
quand même pas tabasser une femme enceinte !
Le lendemain matin, aux aurores, habillées
comme pour aller dans le Grand Nord, Blanche et Élise, tenant une timide
pancarte sur laquelle étaient inscrits les mots « Nous sommes ici,
Micheline ! », défilèrent devant la prison Tanguay. Elles furent
surprises d’y voir autant de gens, certains ayant veillé toute la nuit,
d’autres arrivant, comme elles, par le métro. Elles voulurent cacher leur trop
discrète pancarte, qui amusait plus qu’elle ne dérangeait, les autres étant
libellées avec davantage de hargne : « Mort au gouvernement »,
« Fascistes », « Sort [sic] de notre pays, maudite armée »
et « Bou-hou, Boubou, fais-toi donc des hot-dogs ». Les manifestants
furent dispersés sans trop de bousculade. Élise disparut la première, craignant
d’être frappée. Sa mère se tenait d’ailleurs devant elle pour parer aux coups.
Les protestataires se heurtèrent à des photographes et à des journalistes qui
bravaient également la loi. L’un d’eux s’approcha d’Élise, dont le ventre et la
beauté auraient arraché des larmes à n’importe qui sauf aux forces de l’ordre.
– Qui est cette Micheline ?
– C’est ma sœur. On se demande ce qu’elle
fait ici, car elle est avocate.
Le journaliste laissa tomber le crayon et
regarda Élise, puis Blanche, puis de nouveau Élise. Un photographe eut le temps
de faire des clichés d’une Élise emmitouflée qui exhalait une buée en dentelle.
– Je suis ravi de faire votre
connaissance. Je suis Jean-Charles.
– Jean-Charles ?
Élise comprit que ce charmant jeune homme
était probablement le nouveau soupirant de Micheline, assez important pour
qu’elle abandonne Claude à ses amours légitimes.
– Jean-Charles, je suis ravie de faire
votre connaissance. Maman, c’est Jean-Charles, un ami de Micheline.
Jean-Charles lui jeta un furtif regard
reconnaissant.
– Pourrait-on manger tous les trois, à
midi ?
Élise accepta avec plaisir tandis que Blanche
cherchait à comprendre le lien qui existait entre ce jeune homme et Micheline.
Il était poli et assez bien mis de sa personne si on aimait les habits de
velours côtelé, impossible à presser, et les cols roulés. Ses cheveux se
brisaient sur la nuque, mais ils avaient un lustre que même le froid soleil
révélait. Sa barbe était bien taillée – pourquoi donc les jeunes hommes se
donnaient-ils tant de mal à se raser sous le menton, dans le cou et sur une
partie des joues pour prétendre avoir un air naturel ? Blanche lui tendit
donc la main avec son sourire le plus charmant – peut-être pourrait-il
faire libérer Micheline ? – et lui demanda s’il pensait que ces
pertes de libertés civiles dureraient longtemps.
– C’est ça, le problème. C’est une loi
énorme pour des terroristes dont on ignore le nombre.
– Ils sont au moins deux.
– C’est ce que je disais.
Jean-Charles alla parler à des gens, tandis
qu’Élise et Blanche tournaient en rond avec les autres manifestants qui
s’étaient retrouvés, scandant à haute voix ce qui était écrit sur leur
pancarte, créant ainsi un canon de revendications et de doléances. Elles firent
du piquetage jusqu’à ce qu’elles entendent les cloches de Montréal sonner midi,
puis elles suivirent Jean-Charles.
Élise fut étonnée par l’aisance avec laquelle
ils conversèrent tous les trois. À sa grande surprise, elle ne ressentait
aucune timidité et elle se dit que son ventre lui servait de bouclier.
– Micheline m’a dit qu’elle se
réjouissait à l’idée d’être tante.
– Toute la famille se réjouit.
– C’est pour quand ?
– Mars.
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