L'abandon de la mésange
suffisantes à
son apprentissage. Secrètement, elle se demandait comment il réagirait.
– Pardonne-moi, Côme, mais il m’arrive de
me demander si tu vas aimer ça autant que moi.
– Pardonne-moi, Élise, mais je n’ai
absolument pas l’intention de te laisser prendre toute la place, parce que je
sais que c’est ce que tu projettes.
– Mais non ! Pas toute la place…
– Mais oui, toute la place !
– J’ai pas fait toute la chambre…
– Malhonnête ! C’est parce qu’il y a
eu octobre…
Lorsque Blanche apprit qu’Élise avait eu
« des petites contractions de rien du tout », elle avança la date de
son arrivée, au grand plaisir d’Élise, qui n’avait jamais été aussi désœuvrée.
Côme, qui allait à Québec pour deux ou trois jours, fut nonobstant ravi de la
savoir là.
– On ne sait jamais… Mon père n’est pas à
côté.
Il partit en embrassant Élise goulûment.
– J’aime avoir toujours plus de toi…
Il embrassa son énorme ventre et chuchota
« À bientôt ! » avec tant de douceur qu’elle en eut les larmes
aux yeux. Il partit à regret, après lui avoir posé une dernière fois la main
sur la joue, puis le ventre.
Mère et fille s’installèrent rapidement dans
une routine feutrée. Marcel vint passer la soirée avec elles, cherchant à
savoir comment Blanche acceptait le fait de vieillir en se sentant poussée vers
la sortie.
– Dans quelques minutes, nous allons être
des aïeux !
– Parlez pour vous. Moi, je serai une
mamie.
– Et dans « mamie », il y a
« amie »…
Marcel l’avait regardée d’un œil allumé de
douceur.
* * *
La neige tombait dru et Élise était désolée.
Côme avait téléphoné pour lui dire qu’il serait retardé et que, si les routes
étaient mal déneigées, il serait peut-être forcé de dormir à l’hôtel.
– Quel hôtel, Côme ?
Élise avait posé la question d’une voix douce
et détachée, mais son cœur battait la chamade. Chaque fois que Côme parlait de
dormir à l’hôtel, sa confiance fondait comme neige au soleil, sa mémoire
n’ayant jamais réussi à oublier sa disparition lors du décès de sa mère.
– Je ne peux pas savoir. Peut-être
vais-je arriver cette nuit. Je te tiens au courant.
– Quel hôtel, Côme ?
– Je ne peux pas savoir.
– Moi, je veux savoir.
– Je te tiens au courant. Va dormir, ma
douce.
Élise s’endormit heureusement sans difficulté,
après avoir suivi son rituel habituel. Elle allait dans la chambre jaune pour
écouter la boîte musicale du mobile. Elle se plantait ensuite devant la fenêtre
et décrivait tout ce qu’elle y voyait, après quoi elle retournait dans sa
chambre et s’allongeait. Elle racontait alors sa journée au bébé, puis lui
parlait du lendemain.
– Demain, le Premier ministre Trudeau se
marie à Vancouver. Dommage ! À Montréal, il y aurait eu de la belle neige
blanche sur les épaules de la mariée… Ta tante Micheline se dit sûrement que
c’est tant pis pour lui. Ta tante Micheline le porte pas dans son cœur, parce
que…
Élise était profondément endormie lorsqu’un
heurtoir lui frappa le ventre. Elle s’éveilla en sursaut et se frotta autour du
nombril. Encore une contraction, mais beaucoup plus forte. Elle alluma et
regarda l’heure. Il restait beaucoup de nuit avant que le jour ne paraisse
derrière le rideau. Inconfortable, elle se retourna.
Le heurtoir frappa de nouveau. Élise ouvrit
grands les yeux et regarda son réveil. Cinq minutes seulement s’étaient
écoulées. Si les coups n’avaient pas été aussi désagréables, elle aurait ri, mais
elle préféra jouer à saute-mouton avec les contractions. Tantôt elles se
produisaient aux cinq minutes, ou aux sept minutes, tantôt elles
disparaissaient, ce qui la rassurait. Côme n’était pas encore arrivé. Elle
regarda sa montre et vit qu’il était trois heures.
Il était impossible que ce fût déjà
l’accouchement, mais la persistance des contractions la rendait perplexe. Elle
eut envie de réveiller sa mère, mais elle n’en fit rien. Le silence de la nuit
l’angoissa. Elle se leva et tira le rideau. Le ciel était si opaque que la lune
avait disparu ainsi que les lumières des lampadaires. Côme ! Elle souhaita
qu’il fût à l’abri et non enlisé dans l’épaisse neige qui ne cessait de tomber.
Une crampe en plein ventre lui coupa soudain le souffle, suivi d’une seconde,
aussi violent. Puis ce qu’elle
Weitere Kostenlose Bücher