L'abandon de la mésange

Viviane, qui fut aussi envoûtée que sa sœur.
    – J’aurais aimé avoir aussi une petite
fille. Je n’ai que mon petit bonhomme, Dany.
    – Pourquoi ne l’as-tu pas amené ?
    – Parce que, ce week-end, il est avec sa
maman.
    – Ah ! quel dommage !
    Élise regarda autour d’elle. Seule Jacqueline
était attentive à ce qui se passait et elle jeta un regard entendu à son amie,
qui tenta de feindre l’indifférence, mais sans succès.
    – Avec vos petits cœurs, mes belles
poulettes, les amis ne seront plus obligés de nous demander laquelle est
laquelle…
    On eût dit que plusieurs petites fêtes se
déroulaient au même moment. Marcel, renfrogné, regardait Blanche qui, l’air
coquin, riait aux éclats en lançant sa tête en arrière, découvrant sa gorge
qu’elle avait encore fort jolie malgré ses soixante-quatre ans. Il buvait une
bière et voulut porter un toast, mais personne ne l’entendit. M. Philippe
était venu avec son épouse, et Whillelmine répétait à qui voulait l’entendre
combien Élise avait touché Wilson, la semaine du grand deuil, par sa visite
impromptue et son bouquet de fleurs. Côme regarda Élise, l’œil interrogateur.
    – Et, si mon souvenir est bon, Wilson l’a
reconduite chez sa mère dans une belle voiture rouge.
    Côme, les dents serrées, était trop poli,
comme le remarqua Micheline, qui parlait de son père avec M. Philippe
lorsque apparut une vieille automobile bringuebalante derrière laquelle était
attachée une remorque à chevaux. Élise poussa un cri de joie en reconnaissant
les Avoine.
    – Je ne vous attendais plus ! Côme,
les Avoine sont enfin arrivés !
    – On est en retard parce que nos
chevaux-vapeur ont eu trop soif, les p’tits maudits !
    – Va te promener un peu, ma belle Élise.
On a un petit quelque chose pour toi.
    – Me promener ?
    – Oui, oui. Va voir au bout de ta terre
si je suis là !
    Élise partit avec Jacqueline, chacune portant
un bébé. Elles marchèrent un moment en silence.
    – Je sais ce que tu penses, Élise.
    – Tu sais ce que je pense ?
Et… ?
    – Je vais pas te le dire… mais toi, tu
vas le faire.
    – D’accord. Je pense que c’est triste que
le petit Dany soit pas venu avec son père.
    – Et… ?
    – Et rien.
    – Menteuse, Élise…
    – Je te jure, rien !
    – Côme est jaloux.
    – Jaloux ? Côme ? On aura tout
entendu !
    – Et Marcel est jaloux.
    – Je vois pas pourquoi.
    – Parce que ta mère regarde un peu trop
le Père Blanc.
    – Voyons donc ! Qu’est-ce que tu vas
inventer !
    Jacqueline ricanait, ravie de voir tous ces
jeux se dérouler devant elle.
    – Sais-tu, Jacqueline, je pense que les
Avoine m’ont amené Poussin… Je suis terriblement excitée à l’idée de l’avoir
ici avec moi !
    – Avec vous…
    – Non. Avec moi. Côme s’en occupera
jamais, c’est certain.
    – Au moins, il s’occupe de ses filles.
    – Énormément, dès qu’elles ont été
baignées, que je les ai nourries et qu’elles ont été langées. Mais il les
adore, je le sais.
    – Heureusement !
    – Pourquoi tu dis ça ?
    – Pour rien.
    – Sais-tu quoi, Jacqueline ?
J’aimerais être un petit oiseau, pour voir Wilson avec ses patients. Il a été
tellement doux, tellement attentif aux filles, que…
    – Que… ?
    – Que quoi… ?
    Elles rebroussèrent chemin et Élise vit
Poussin dans le champ, avec un poulain tout près de lui.
    – Poussin !
    Wilson lui prit Viviane des bras tandis
qu’elle courait pour s’approcher du cheval. Côme la lui arracha.
    – Qu’est-ce que tu fais ici, mon
Poussin ?
    Le cheval l’avait rejointe et il lui offrait
sa tête à gratter.
    – On a pensé qu’il méritait le bon air…
Puis on a aussi pensé que son rejeton voudrait être avec lui…
    – Son rejeton ?
    – B’en quiens  ! On l’a jamais
fait couper. Poussin est vieux, mais toujours fringant !
    – C’est le Charlie Chaplin du cheval
canadien ?
    – Vous êtes sérieux ? Vous voulez
que je m’occupe de Poussin, ici ?
    – Ça dépend de toé , Élise. Ton
beau-père nous a dit que vous aviez de la place en masse. Tu peux les atteler
ou les vendre. Ils sont à toé puis à tes petites.
    – Vous saviez ça, Marcel ?
    – Je le savais depuis la naissance du
petit Poussin.
    Élise jubilait. Avec Poussin près d’elle, elle
était comblée. Seul Côme ne semblait pas se réjouir de l’arrivée des deux
bêtes.
    – Qu’est-ce