L'abandon de la mésange
quand
partiras-tu ?
– De la mi-janvier à la mi-avril.
– Tant mieux. Tu seras là pour les semis.
– Voyons, Côme, ton père n’est pas forcé
d’être ici ! La ferme est à nous !
– À nous, évidemment, mais quand je suis
à l’extérieur, ce ne sont quand même pas les filles et toi qui pouvez
travailler dans les champs…
– J’y avais pensé, mon fils. Je ne suis
pas con. Et merci de me souhaiter bon voyage !
Piqué, Marcel se leva, prétextant des brûlures
d’estomac, et rentra chez lui en plein milieu du réveillon. Son départ jeta un
froid qui persista malgré l’arrivée-surprise de Jacqueline et de Bernard.
– Bonne année !
Devant la mine déconfite de ses amis,
Jacqueline changea de ton.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? Je
viens de voir Marcel avec une mine… Attendez, j’ai appris le mot cette semaine
à la télévision… Une mine patibulaire.
– Fais pas chier, Jacqueline. Mon père
est déprimé comme c’est pas possible depuis que ma belle-mère fréquente son
curé.
– Côme ! Pardonnez mon mari, mais ce
qu’il vient de dire est cheap . Le père Frigon vient de nous expliquer
qu’il attend sa laïcisation.
Élise regarda alors sa mère en esquissant un
sourire. Blanche fut la seule à saisir l’importance de ce qui venait de se
produire : Élise avait défendu Napoléon et ses amours à elle.
– Mais, en attendant, il est encore
prêtre, ce qui déprime mon père.
– Voyons donc, mon beau-frère ! Ce
qui déprime ton père, c’est d’être seul et veuf.
Un silence lourd et épais se cristallisa dans
le froid. Personne n’eut l’audace d’ajouter que Marcel était énormément déprimé
à cause de son fils qui, apparemment, ne cessait de le décevoir. Embarrassée,
Blanche demanda à Napoléon à rentrer à Montréal. Il acquiesça.
Micheline et Côme allèrent dormir. Jacqueline
et Bernard repartirent aussi vite qu’ils étaient arrivés. Jean-Charles et Élise
restèrent seuls à nettoyer la salle à manger et la cuisine, silencieux comme
des bénédictins.
* * *
Le printemps et l’été furent extraordinaires.
Viviane força sa sœur à la suivre dans une marche continue. Élise ne cessait de
s’émerveiller devant les progrès de ses filles et leur sourire où des dents
coiffaient maintenant les gencives. Elle habillait souvent Violaine d’une robe
jaune et Viviane d’une robe lilas. Il était maintenant notoire que celle qui
portait du jaune était toujours Violaine. Si l’une des deux portait du vert,
c’était toujours Viviane. Cela permettait aux petites de changer quand même de
costume de temps à autre. Côme ne savait toujours pas les différencier.
– Je ne sais pas comment tu fais, Élise.
Même dans la baignoire, tu les reconnais. Elles sont tellement pareilles !
– Il y a une bonne façon de le savoir,
Côme.
– C’est quoi, le truc ?
– Être avec elles.
– Parfois, ma douce, tu m’énerves…
– Je gagne. Toi, c’est plus que parfois…
Élise n’osait se l’avouer, mais ses amours
logeaient maintenant à la même enseigne que celles de Côme : bonne entente
et indifférence. Elle se savait capable de continuer ainsi si c’était là son
destin, surtout pour leurs enfants, mais elle aurait préféré être aimée comme
elle l’avait été au tout début de leur relation. La vérité, c’est qu’elle avait
idéalisé Côme, voyant dans un geste occasionnel un comportement habituel, dans
un mot doux une promesse d’amour éternel, dans une absence le plaisir du
retour, et dans un mensonge une délicatesse pour l’épargner. Elle l’avait
complètement idéalisé. Mais maintenant elle le voyait tel qu’il était : un
peu roublard, merveilleux pour faire la cour, et menteur, du moins le
croyait-elle jusqu’à preuve du contraire. Il n’était pas non plus le père
qu’elle aurait souhaité pour ses filles, mais celles-ci l’adoraient et c’était
là le plus important.
Marcel rentra de Louvain deux jours après
qu’on y eut arrêté un espion qui transportait des documents secrets relatifs à
l’avion de combat Mirage.
– Ah ! voilà pourquoi vous vouliez
aller en Belgique, Marcel…
– Absolument ! Et j’ai l’intention
d’apprendre aux petites comment cacher des papiers importants dans leurs
couches. J’en ferai de vraies Mata Hari en herbe !
Côme devait aller chercher son père à
l’aéroport de Dorval, mais c’est en vain que Marcel
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