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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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petit jeu. Un autobus, c’est pas une place pour faire une scène
de ménage.
    Elle demeura sans voix. Non seulement se
sentait-elle trahie, mais elle ne pouvait concevoir que le chauffeur ait cru
qu’elle puisse aimer un garçon aussi minable !
    Offusquée, elle resta debout près de la porte
arrière. L’autobus arriva enfin au boulevard Saint-Joseph, où elle aperçut
Conrad qui, rouge comme un coquelicot, courait toujours. Elle sortit, évita le
jeune homme et marcha en direction de chez elle, respirant profondément pour
cacher sa peur et regardant nonchalamment les fleurs des parterres. Conrad
tenta de lui barrer le passage, mais elle louvoya pour l’éviter.
    – As-tu pensé à une date pour notre
mariage, Élise ?
    Il était fou ! Elle repensa au Lotus
bleu , un album de Tintin qu’elle avait lu, assise sur les genoux de son
père. Elle avait été terrifiée par le fou qui traînait toujours son sabre pour
décapiter les gens. Elle avait eu si peur qu’elle était descendue des genoux de
son père et s’était sauvée.
    – Mais où vas-tu, Élise ? lui
avait-il demandé en riant à gorge déployée.
    Elle s’était cachée sous son lit. Ce fou avait
longtemps hanté ses rêves par la suite. Conrad lui faisait presque aussi peur,
et, alors qu’elle se revoyait, petite, glissant sous le sommier, il lui saisit
le bras pour la retenir. Elle poussa un cri de colère et échappa à son
étreinte.
    – Écoute-moi, Conrad Ballard. Si je te
vois encore une fois devant ma maison ou dans la ruelle, je raconte tout à ton
père.
    Il pencha la tête sur le côté et lui fit un
sourire attendri.
    – Je le savais que tu me regardais puis
que tu m’entendais. Moi puis toi, on est comme Scarlett O’Hara puis Rhett
Butler dans Gone with the Wind. J’ai déjà dit à mon père qu’on allait se
fiancer.
    M. Ballard savait-il son fils aussi
détraqué ? Élise doutait même de l’existence d’une autre fiancée. Elle
tourna les talons et entra dans la maison, refrénant son envie de claquer la
porte. Les rares colères d’Élise étaient toujours dangereusement silencieuses.
Jamais elle n’aurait osé crier ni même hausser le ton, par crainte d’éveiller
son mort tant adoré. Jamais. Mais son souffle se faisait plus pressant, ses
mâchoires se crispaient au point de craquer et elle retenait des larmes qui
brûlaient l’iris bleu de ses yeux. Le cœur battant la chamade, elle posa
l’oreille contre la porte et écouta. Conrad devait être parti car elle
n’entendait rien. Au moment où elle allait respirer de soulagement, la voix du
jeune homme lui parvint aussi clairement que s’il avait été à six pouces de son
oreille.
    – Je le sais que tu m’aimes, Élise.
Donne-moi une chance puis je vais te rentrer ma saucisse dans ton steak de
fesses.
    Élise eut la nausée, mit la main sur sa bouche
et éclata en sanglots silencieux. Cacher sa peur et son angoisse. Sur la pointe
des pieds, elle marcha jusqu’à sa chambre, tira les rideaux et résista à
l’envie de se glisser sous son lit. Elle s’allongea en se demandant si les
hommes continueraient encore de parler s’ils savaient que chacune de leurs
paroles pouvait être la dernière. Quant à elle, sa dernière pensée, si elle
était morte à l’instant, aurait été qu’elle détestait Conrad Ballard de l’expédier
ainsi en enfer.
    M. Vandersmissen stationna devant la
maison. Élise et sa mère sortirent aussitôt sur le perron. Avec son accent
encore empreint de sa musique d’Europe, il s’informa de leur santé et dit à
Blanche qu’elle était toujours aussi ravissante. Élise la regarda d’un œil
étonné. Comment sa mère, âgée de cinquante ans, pouvait-elle encore être
ravissante aux yeux d’un homme qui était quand même plus jeune qu’elle ?
Les Belges devaient avoir le compliment dans leur manuel de politesse. Élise
lui tendit la main. La retournant dans la sienne, il l’invita à bien la
regarder. Dans deux ou trois jours, ces mains douces et roses seraient grises
et rêches à force de fouiller la terre.
    – Mais tu vas voir, mon petit, la terre
est une grande artiste et elle va redessiner ta main, peut-être même changer
ton destin.
    – Mais de quoi vous parlez ?
    – Des lignes de la main. Je n’y connais
rien, mais ma femme est une experte. Remarque que je ne sais si sa vie va se
trouver bouleversée parce qu’elle s’est arraché plusieurs dizaines de lignes de
son annulaire.
    Là-dessus,

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