L'abandon de la mésange
n’ait rien supposé.
– Tiens-toi comme tu peux !
Debout derrière lui, elle effleura à peine ses
épaules, mais, lorsqu’il embraya, elle lui agrippa la taille tandis que son nez
allait s’écraser contre sa nuque. Ils sortirent rapidement du bâtiment. Élise
faisait de terribles efforts pour ne pas lui enserrer la taille trop fort,
mais, chaque fois qu’ils passaient sur une bosse ou un creux, elle resserrait
son étreinte, y prenant un plaisir qu’elle était incapable de trouver honteux.
La seule fois de sa vie où un garçon avait été aussi près d’elle –
l’étreinte forcée de Conrad ne comptait pas – avait été le jour du décès
de son père. Elle avait encore en mémoire l’odeur chaude et musquée de Wilson.
Côme sentait davantage l’air frais et la terre. Un nouveau sursaut et elle
sentit ses seins s’écraser contre le dos de Côme. Elle recula immédiatement et
sourit en pensant que Micheline l’envierait certainement.
Côme lui montrait les champs de maïs et de
pommes de terre. Elle avait reconnu les choux et n’en était pas peu fière. Elle
contemplait les arbres, les immenses tas de pierres abandonnées en plein champ.
Mais elle voyait aussi les épaules et la nuque de Côme, et devinait ses
cuisses. Elle avait une envie folle de toucher ses petits cheveux fous et de
lui mordiller l’oreille. Troublée par ces pensées qui lui étaient étrangères,
elle se concentra sur un autre champ de pommes de terre, rayé vert et noir, qui
allait mourir à l’orée d’un boisé si loin qu’elle était incapable d’en
reconnaître l’essence des arbres.
– C’est ici qu’on travaille demain.
Côme arrêta le moteur et Élise, oubliant sa
jupe, se mit à courir dans le champ, sous le regard amusé du jeune homme, qui
demeura appuyé contre la roue du tracteur, les bras croisés. Tantôt elle
sautillait, tantôt elle tournoyait. « Un chiot », pensa-t-il.
« Il m’intimide », se dit-elle. Elle s’agenouilla pour toucher,
sentir et caresser les feuilles. Sans réfléchir, comme si elle n’avait su que
faire, elle arracha un plan pour voir les tubercules accrochés à la racine.
Elle enfouit ses mains dans la terre et y farfouilla pour en extirper huit
belles et grosses pommes de terre. Elle en prit une, enleva un tout petit peu
de terre et y mordit à belles dents. La terre goûtait l’odeur d’orage et la
chaleur, le noir et le vert, l’eau et le sable. Élise ferma les yeux et avala
en souriant. « Oui, se dit-elle, je suis amoureuse de la terre. Quel curieux
sentiment ! »
Elle ramassa tous les tubercules et les retint
dans sa jupe. Se relevant sans se rendre compte qu’elle exhibait ses cuisses et
le triangle de sa petite culotte, elle se dirigea vers Côme, toujours en
souriant.
– Quand tu auras cueilli quelques centaines
de plants, même sourire va te faire mal.
– Je sais, je sais. Puis je vais avoir
les mains grises, pleines de lignes que je n’ai jamais vues.
– Des lignes de cœur, j’espère.
Côme s’avança vers elle, la débarrassa de sa
récolte, qu’il posa sur le tracteur, lui prit une main et la lécha lentement
jusqu’à ce qu’elle soit propre. Complètement décontenancée, Élise l’essuya sans
hâte sur sa jupe, puis regarda sa deuxième main. Sans hésiter plus longtemps
qu’un battement de cils, elle la lui tendit. Il la mordilla.
– 6 –
Oubliant sa timidité, Élise descendit au salon
en peignoir de chenille verte et en pantoufles. Elle rôda devant une mince
collection de livres, choisit une brochure sur l’Exposition universelle de
Bruxelles et s’assit dans un fauteuil berçant pour la feuilleter. M me Vandersmissen
était déjà couchée et M. Vandersmissen alla presque aussitôt la rejoindre.
Côme ne broncha pas. Au grand étonnement d’Élise, il était occupé à coudre un
bouton. Elle se plongea dans sa lecture.
– J’en arrive.
Elle sursauta.
– D’où ?
– De Bruxelles.
– De Bruxelles !
Élise s’attrista. Comment pourrait-elle
intéresser un garçon qui avait déjà traversé l’océan Atlantique ? Elle
connaissait si peu de choses alors qu’il en savait déjà tant ! En
chuchotant pour ne pas éveiller ses parents, Côme lui raconta que ceux-ci,
ainsi que ses oncles et tantes qui habitaient encore la Belgique, lui avaient
offert ce voyage.
– Pour mon diplôme. Mon baccalauréat ès
arts. Le plus instruit de ma famille a peut-être une sixième
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