L'abandon de la mésange
fendue. M. Avoine
revint de sa journée de travail et, apercevant Élise, comprit le drame,
celle-ci lui ayant parlé de l’importance de ce jour pour elle.
– Viens, je te gâte. C’est toi, la
princesse. Assis-toi, apporte la boîte de kleenex si tu veux. On reviendra
quand tu me diras de rentrer ou quand Oscar le demandera.
Élise sourit en sanglotant. Ils remontèrent
sur la montagne pour n’en revenir que lorsque les ombres eurent commencé à
s’allonger, alanguies par le couchant. M. Avoine brossa Oscar et Élise
rentra chez elle d’un pas lourd sous un ciel dont le bleu rosissait.
Sa mère lui offrit un café qu’elle refusa, lui
préférant une petite assiette de cacahuètes. Elle s’assit à la table de la
cuisine – elle n’avait pas la permission d’aller au salon en vêtements de
travail – et soupira. Pour la première fois depuis trois ans, elle se
demanda ce qu’elle allait devenir.
Micheline sortit de sa chambre, adjacente à la
cuisine.
– Est-ce qu’on veille avec le fantôme de
Côme Vandersmissen ?
Les regards des deux sœurs se soudèrent
pendant près d’une minute. Élise baissa enfin les yeux, hocha la tête, haussa
les épaules et sourit.
– O. K., Micheline, un à zéro pour toi.
Mais tu dois avouer qu’il était beau.
– C’est vrai. D’en avant comme d’en
arrière. Mais en dedans…
Le carillon de la porte d’entrée retentit.
Micheline s’interrompit et fronça les sourcils. Élise se laissa tomber la tête
sur la table en disant « non, non, non », tandis que Blanche se
levait, défroissait sa jupe et se dirigeait vers le salon. Elle se précipita à
la fenêtre, puis appela Élise.
– C’est pour toi, Élise !
Élise marcha lentement, telle une condamnée,
ouvrit la porte et fut accueillie par Côme qui tenait un magnifique arrangement
de fleurs printanières et de pousses de légumes. Incapable de rester sur ses
jambes, elle se laissa choir sur la première marche, riant et pleurant à la
fois, et fut rejointe par sa mère et sa sœur. Blanche s’assit près d’elle et
posa la main sur sa cuisse tandis que Micheline restait debout, appuyée contre
la porte, avec un air bravache.
– 13 –
Depuis que l’été avait pris la ville d’assaut,
et depuis surtout que Côme lui avait embrasé le cœur, Élise était
méconnaissable. Elle riait souvent, marchait la tête haute, faisait trotter
Poussin lorsque la calèche était vide. Elle avait d’ailleurs eu maille à partir
avec un policier à cheval du mont Royal, qui l’avait rejointe au galop et
forcée à s’immobiliser.
– On est à Montréal, icite , pas à
Calgary. Je veux pas être obligé de donner un ticket de vitesse !
– À mon cheval ?
Elle avait éclaté de rire, contrairement au
policier, qui sortit son carnet de contraventions.
– Je blaguais.
– C’est toujours des blagues. Quand on me
traite de chien ou de poulet, c’est une blague. Les blagueurs les plus épais,
c’est les chasseurs qui me demandent si je suis un des chiens qui défilent pour
la messe de la Saint-Hubert ou juste un poulet du Saint-Hubert BBQ .
Élise pencha la tête à droite et prit un air
contrit.
– C’est comme lui. C’est un cheval, mais
on l’appelle Poussin. Elle éclata encore de rire, mais cette fois le policier
l’imita.
– Poussin ?
Elle fit oui de la tête et tendit la main,
résignée à recevoir une contravention. Le policier haussa les épaules et remit
le carnet dans sa poche avant de frotter la crinière de sa bête.
– Je pense qu’il a aimé sa course.
– Je le pense aussi.
Il lui fit un salut militaire et changea de
direction. Élise rentra à l’écurie, le cœur épinglé sur le calendrier de
septembre, sous le neuf.
Maintenant satisfaite sur le plan du rêve,
Élise prit panique, ne sachant où situer Côme en regard de ses espérances. Elle
avait tant de fois tourné et retourné ses souvenirs qu’ils s’étaient édulcorés.
Elle avait oublié la rondeur de sa voix, foncé la couleur de ses cheveux. Elle
l’avait imaginé très grand alors qu’il était de taille moyenne. Elle lui avait
donné un accent fortement européen et pourtant sa langue était d’ici, quoique
châtiée. Seuls ses yeux, son regard et ses sourcils n’avaient pas été déformés par
son imagination. La jeune amoureuse devrait s’habituer à ses espoirs maintenant
de chair et d’os, et parfumés.
Le soir de son retour, Côme lui avait
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