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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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Tu
comprends ça, toi, la prison de l’absence et de l’attente. Moi aussi, un peu,
mais j’ai pas été capable d’attendre trop longtemps. Le temps de faire des
économies pour payer ma dot… c’est pas un reproche, maman… mais le temps de
payer ma dot et j’étais sur le parvis de l’église. Mais j’avais travaillé
pendant près de quinze ans. Je connaissais beaucoup mieux la vie que
l’intérieur d’une maison.
    « Élise est tellement jeune et tellement
belle, tu en serais fière. Elle a les cheveux de la même couleur que les tiens,
mais ses yeux sont comme les miens. Qu’est-ce que je vais lui dire si son Côme
ne vient pas ? Remarque que je ne sais pas plus ce que je vais dire s’il
vient. J’ai cinquante-trois ans, maman, puis je vais conduire mon aînée au pied
de l’autel. Que la vie va être longue !
    Le vingt-huit mai arriva enfin. Micheline
étudiait, enfermée dans sa chambre. Blanche avait décidé de rester à la maison
et de jardiner, au cas où Côme Vandersmissen viendrait les visiter. Quant à
Élise, elle ne savait où donner de la tête ni du cœur, Côme n’ayant pas donné
signe de vie. Elle revint de la messe et ne se changea pas, préférant garder sa
robe de lin grise, fuseau, avec un joli col blanc empesé et un beau nœud qui
s’harmonisait avec ses pumps rouges. Elle avait poussé la coquetterie
jusqu’à se faire une queue de cheval, tournant une mèche autour de l’élastique pour
le cacher.
    À midi, elles s’attablèrent toutes les trois
et, telles des nonnes, mangèrent en silence jusqu’à ce que Micheline soit
exaspérée.
    – Pourquoi tu me regardes comme ça,
Micheline ?
    – Pour rien. C’est ça, le problème,
Élise : rien. Rien depuis trois ans sauf une carte de politesse et ta
visite d’une nuit. Et rien depuis ce matin non plus. Je peux pas croire que ma
sœur est si attardée. Attendre un gars si longtemps. Peut-être même que tu le
connais plus.
    Élise fit d’énormes efforts pour retenir ses
larmes et avoir l’air détendue alors qu’elle chipotait dans son assiette,
l’estomac trop noué pour manger.
    Micheline retourna à ses livres. Blanche
décida de mettre à jour sa comptabilité. Élise se mit à faire la navette entre
sa chambre et la fenêtre du salon, à l’avant de la maison. Lorsqu’elle entrait
dans le salon, elle le faisait sur la pointe des pieds pour conjurer le sort
qui aurait pu détecter chez elle un début de déception. Vers les cinq heures,
n’en pouvant plus, elle descendit au sous-sol pour terminer la peinture de la
petite école de campagne que sa mère s’était amusée à construire. Blanche avait
tracé une petite route, y avait collé de la terre et l’avait baptisée le
Bourdais. À partir de vieilles photos, elle avait aussi créé une reproduction
de son dispensaire d’Abitibi. Toute cette maquette construite par la mère et
ses deux filles leur apprenait les événements importants de la vie de leur
famille. Elles avaient fait le lac à la Tortue, les villages de Saint-Tite, de
Saint-Stanislas et de Villebois. Elles avaient brûlé le couvent où Blanche
avait été pensionnaire, le collège de Saint-Boniface, au Manitoba, alma mater
de leur père, et le premier dispensaire de Blanche en Abitibi. Chaque fois
qu’elles s’y arrêtaient, elles ajoutaient un petit quelque chose, comme la
résidence des infirmières de l’hôpital Notre-Dame ou le terrain de jeu où Élise
et Micheline s’étaient amusées quand elles étaient toutes petites.
    Élise avait pris l’initiative d’ajouter la
maison des Vandersmissen. Elle tenait donc la petite maison fleurie dans ses mains,
l’embrassant, la posant sur son lopin de terre, la reprenant et la plaçant sur
une table, à côté de la maquette.
    À six heures, elle remonta et vit dans le
regard de sa mère un reflet de sa propre déception. Elle passa à sa chambre,
enfila ses vêtements de travail et sortit de la cuisine par la porte arrière,
pour ne pas avoir à affronter sa sœur une seconde fois. « Il fallait me
croire, Élise. Un gars qui te respecte pas puis qui connaît l’intérieur de tes
fesses avant de connaître celui de ton cœur… »
    Élise lui avait fermé la porte au nez en lui
disant qu’elle détestait les sermons vulgaires et qu’elle-même, sa propre sœur,
ne connaissait pas tellement son cœur non plus.
    Ce fut Poussin qui reçut la pluie de chagrin,
sans cesser de mâcher alors qu’Élise sanglotait, l’âme

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