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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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dans un autobus et d’aller à l’île
Sainte-Hélène. Assise sur la berge derrière le restaurant Hélène de
Champlain , elle regardait les cheminées des bateaux qui empruntaient le
plus grand boulevard de l’Amérique, le chenal de la Voie maritime du
Saint-Laurent.
    Sa vie était en attente et elle avait commencé
à parler de Côme plus fréquemment. Chaque fois, sa sœur baissait les yeux ou
s’éloignait. Micheline ne semblait pas lui avoir pardonné ses amours
pastorales.
    Le mois de mai envahit le jardin de ses
tulipes, de ses jonquilles et de ses narcisses. Micheline décida de délaisser
ses dévotions à la Vierge.
    – Depuis ma belle journée chez les
Vandersmissen, je trouve que les petits becs de mes amies sont puérils.
    – « Puérils », c’est un nouveau
mot, ça ?
    – Oui. Ça vient du latin puer, qui
veut dire « enfant » et non « à poire », si tu vois ce que
je veux dire…
    Alors que le printemps remplissait le jardin
de promesses, Élise préparait son cœur pour le retour de Côme. Depuis le
premier mai, elle avait fait plusieurs voyages sur la montagne, s’attachant les
guides derrière le cou et se fiant entièrement à Poussin, trop occupée à
rêvasser.
    – Comment, Élise ? Tu penses
toujours autant à lui ?
    Élise fut désarçonnée par cette remarque. Sa
mère n’avait-elle pas compris que Côme était l’homme de sa vie ? Qu’il
serait le père de ses enfants, de ses petits-enfants à elle ?
    – Je n’ai jamais cessé d’y penser. Je vis
avec lui dans ma tête, jour et nuit. Et je te le dis, il sera ici le vingt-huit.
    – Le vingt-huit ?
    – Oui. À trois heures. Il me l’a promis.
    Élise ignorait qu’elle avait ouvert une boîte
de douloureux souvenirs chez sa mère qui, durant toute son enfance, avait
attendu un père qu’elle avait rarement vu. Blanche l’abandonna à ses pensées et
s’isola dans sa chambre. Élise eût-elle été oiseau, elle l’aurait vue plantée
devant la photographie d’Émilie, les bras croisés, la bouche amère, l’œil
révolté.
    – Alors, maman, où est-ce qu’elle s’en
va, ta petite-fille ? Elle a horreur de Montréal, de la foule, de la
grisaille. Elle déteste les autobus et les trains. Si elle tolère la ville,
c’est parce qu’elle y niche au sommet, entourée d’arbres, et s’y promène en
calèche ou en traîneau. Je savais pas qu’on avait des gènes de sabots dans la famille.
Ton père et ses chevaux, toi et ta jument, la Tite, moi dans la colonie, et
maintenant c’est ma fille, maman, qui empeste le fumier, en pleine ville, et
qui part jamais sans emporter des carottes pour son Poussin.
    « On a été si pauvres, maman, à la
campagne, tu te souviens ? On a eu froid, on a eu faim, on a chiqué de la
guenille, et c’est ta fierté et ton courage qui ont empêché les paroissiens de
nous apporter les poches de jute de la guignolée. Micheline est différente. On
dirait qu’elle accepte de récolter ce qu’on a semé. Elle a choisi de faire un
baccalauréat ès arts, le même diplôme que Clovis. Elle fait du grec et du
latin. Je pense même qu’elle va parler anglais. Élise aussi, remarque.
Micheline va avoir dix-huit ans cet été et elle veut continuer d’étudier. Pour
Élise, je te dis pas, maman, parce que tu te retournerais dans ta tombe.
Oh ! et puis oui, je vais te le chuchoter : elle veut rien de plus
que ce que toi tu voulais, puis que toutes les filles voulaient. Mais Duplessis
est mort, et avec lui des idées à faire frissonner. On a un Premier ministre
qui t’aurait plu parce qu’il parle beaucoup d’instruction. Il y a des gens qui
disent que les collèges de garçons vont être ouverts aux filles. Mais on dirait
que les filles, maman, savent se rendre à la rivière, mais qu’elles veulent pas
la traverser, même s’il y a un pont. Elles préfèrent marcher le long de la
rive, rêvasser en attendant le prince charmant, lancer des cailloux dans l’eau
et voir dans les cercles les alliances qu’elles enfileront à leurs annulaires.
C’est vrai que c’est ce que j’ai fait, moi aussi.
    « Le pire est à venir, maman. Mon Élise
s’est amourachée d’un agronome, un bon parti, c’est vrai, qui va l’installer
sur une terre. En ce moment, elle l’attend. Si j’ai bien compris, ils se sont
imposé un purgatoire de trois ans, le temps qu’il termine ses études. Mais,
pour elle, c’est trois ans dans la prison de l’absence et de l’attente.

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