L'abandon de la mésange
l’épaule pour en faire tomber une mousse invisible
avant de mettre les mains dans ses poches.
– Tu t’en vas où ?
– À Niagara. Voir les chutes.
– Ah ! C’est vrai.
– Tu me souhaites pas bon voyage ?
– Quel voyage ?
– Micheline, mon voyage de noces !
Micheline saisit sa sœur par le cou, l’attira
à l’autre extrémité de la pièce et lui demanda à voix basse de l’excuser, lui
expliquant que Claude était le plus beau gars qu’elle ait jamais rencontré dans
sa vie.
– Il a vingt-quatre ans…
–… et un diplôme, et il danse mieux que Fred
Nestor.
– Astaire, Micheline, Fred Astaire.
– C’est pas ce que j’ai dit ? En
tout cas, je me suis bien occupée de lui, comme tu me l’as demandé. Pars
l’esprit en paix, je vais continuer d’être une bonne hôtesse.
Tout en souhaitant que Claude soit un
gentleman, Élise embrassa sa sœur une dernière fois et monta l’escalier de sa
vie à la hâte.
– 15 –
En moins de vingt-quatre heures, Élise devint
une mordue du train. Côme et elle étaient montés dans un wagon à la gare
Centrale, où les avaient accompagnés leurs parents respectifs. Blanche, qui
avait confié la noce à Micheline pour une petite heure, tenait Élise par le
bras pendant que Côme enregistrait leur bagage. M me Vandersmissen,
qui avait oublié comment cesser de pleurer, était accrochée au bras de son
mari, qui n’avait plus de mots pour la consoler.
– C’est à se demander, Mimine, si tu ne
regrettes pas le bonheur de notre fils…
– Non, non ! Mais tous nos espoirs
sont maintenant à terme, tu te rends compte ?
– C’est bien. Nous venons de récolter la
plus merveilleuse des brus. Mimine, cesse de pleurnicher et souris à ton fils.
Blanche et Élise s’étaient éloignées, pour ne
pas épier leur conversation. Seule Élise avait hésité, se demandant si elle
devait aller vers sa belle-famille ou rester auprès de sa mère le plus
longtemps possible. Côme les rejoignit enfin, la prit par la main et, contre
son gré, s’approcha de sa mère.
– Ma petite maman, maman, enfin… Papa,
dis quelque chose !
– Je ne sais plus que dire.
Blanche sourit tristement à son aînée, puis se
ressaisit au moment où les nouveaux mariés embrassaient les Vandersmissen.
Élise et Come s’approchèrent ensuite d’elle et l’étreignirent tour à tour, puis
ils descendirent l’escalier en sautillant, s’arrêtant au palier pour faire un
dernier au revoir. Rendus sur le quai, ils coururent jusqu’à leur wagon, comme
s’ils avaient eu peur d’être rejoints par une mauvaise nouvelle.
– Côme, arrête !
– Non ! J’ai trop peur de m’éveiller
et de me retrouver à Sainte-Anne-de-la-Pocatière en cinquante-huit, avec devant
moi trois ans à t’attendre en écoutant Gilbert Bécaud chanter :
Mes mains
D essinent dans le
soir
La forme d’un espoir
Qui ressemble à ton corps
Mes mains
Quand elles tremblent de fièvre
C’est de nos amours brèves
Qu’elles se souviennent encore
Côme avait commencé en récitant les paroles,
puis il les avait chantées doucement, les lèvres collées sur son oreille. Élise
soupira, la poitrine gonflée de joie. Côme était le plus romantique des garçons
et cette façon d’être qui était la sienne la comblait. Elle avait eu raison de
l’attendre pendant ces trois interminables années, de mettre son corps au repos
et son âme dans un froid caveau. Elle avait eu raison de respirer l’air du mont
Royal et d’y regarder les saisons faire le compte à rebours en jouant à
saute-mouton sur le temps. Elle avait eu raison de fixer l’avenir sans se
retourner, sans autre regret que celui de n’avoir jamais pu présenter le gendre
au beau-père.
Pour le voyage en train, Côme avait réservé
une chambrette meublée d’un seul fauteuil. Ils ne s’en formalisèrent pas,
préférant de toute façon se retrouver dans l’ observation car ou dans le dining
car . Ils fermèrent néanmoins la porte de leur chambrette, et c’est assise
sur les genoux de son mari qu’Élise regarda disparaître les parents. Puis ce
fut toute l’île de Montréal qui s’effaça tandis que Côme lui mordillait encore
les oreilles.
– C’est pour m’aider à patienter jusqu’au
souper…
Dès qu’ils eurent passé le pont, Élise ferma
les yeux et fit ses adieux à la ville, heureuse d’enfin tourner cette page.
Lorsqu’ils revinrent du souper,
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