L'abandon de la mésange
pourrait éventuellement
nuire à la carrière d’avocate de sa fille. Micheline avait aussi entraîné sa
sœur devant l’hôtel de ville lorsque le général de Gaulle, en visite au Canada,
avait crié, la fin d’un discours qui se voulait innocent et poli :
« Vive le Québec libre ! » Blanche était restée bouche bée quand
elle avait aperçu ses deux filles aux nouvelles télévisées de Radio-Canada.
Micheline, ayant enlevé son soutien-gorge, sautillait et criait dans la rue,
les bras en l’air, tandis qu’Élise, se frottant le front pour ne pas être
reconnue, tentait vainement de contenir sa sœur. Le bulletin de nouvelles
n’était pas encore terminé que M. Vandersmissen avait téléphoné pour lui
dire qu’il était outré de l’ingérence de la France dans les affaires d’un pays
si accueillant et que, s’il ne tenait qu’à lui, il escorterait le général à
l’aéroport, au pas de charge s’il le fallait. Blanche, soulagée de n’entendre
aucun commentaire sur le comportement inconvenant de sa puînée, avait répondu
qu’elle ne comprenait rien à la politique, que c’était plutôt son mari qui s’y
intéressait, et que si M. de Gaulle avait cru bon de dire cela, c’est
qu’il devait avoir ses raisons.
– Mais non, ma bonne madame Lauzé. Il se
prend pour un empereur et notre Premier ministre l’a flatté dans le sens du
poil en lui balisant la route du chemin du Roy ! Mais je crois savoir de
source sûre que les gens qui l’acclamaient avaient été sollicités pour le faire
et que certains avaient même été payés !
– Vous croyez ?
– Oui, je le crois. En plus, il n’a fait
que répéter les propos qu’il avait tenus en Algérie. Vous vous souvenez ?
Comme si, nous aussi, nous étions les bougnouls de la France !
Un long silence avait suivi avant qu’il ne
change de ton pour dire qu’il trouvait Élise amaigrie et qu’il s’inquiétait
d’elle tous les jours.
– J’espère que mon fils fera amende
honorable. Élise nous manque terriblement et Côme est méconnaissable. J’ai hâte
qu’il nous la ramène. Des tourterelles, ça vole à deux.
Blanche n’avait rien répondu, se contentant de
mettre la main sur le combiné pour qu’il ne l’entende pas étouffer ses sanglots
et ses soupirs.
– En son nom, madame Lauzé, je vous
demande pardon.
Deux jours plus tard, alors que Blanche
n’avait pas encore fini de réprimander ses filles pour leur mauvaise tenue
devant les caméras de la télévision d’État, M. Vandersmissen avait rappelé
en riant de plaisir devant le départ précipité de De Gaulle.
– Il était temps, madame Lauzé, que nos
hommes portent leur culotte. Si j’avais su, j’aurais fait un voyage spécial
uniquement pour voir décoller son avion.
– Quel dommage qu’Élise ne soit pas
ici ! Je suis certaine qu’elle aurait aimé vous parler.
M. Vandersmissen n’avait rien ajouté.
* * *
Le mois de septembre pâlissait les pelouses et
avait déjà séché quelques feuilles des jardins de l’Expo. Si Élise s’en
attristait, elle s’inquiétait davantage des récoltes, qui lui manquaient
encore, se demandant si les parasites avaient finalement quitté le champ de
pommes de terre, si son beau-père s’était fait un devoir de remplir et de
replacer les dizaines de pots de fleurs sur la galerie et autour, dans le
parterre, et si Côme était demeuré un agronome absent ou un fils présent et
compatissant à la solitude de son père.
Plusieurs étudiants quittèrent l’équipe des jardiniers
pour retourner qui à l’université, qui au collège, mais Élise ne s’en plaignit
pas. Lorsqu’elle rentrait chez sa mère, le soir, épuisée, elle faisait souvent
un crochet par l’écurie pour voir si Poussin avait, lui aussi, terminé sa
journée éreintante. Il lui arrivait de lui servir sa moulée et de le brosser,
lui grattant le toupet, le chanfrein ou le bout du nez. Parfois, lorsque sa
sœur n’était pas trop fatiguée, elles se changeaient et allaient passer la
soirée au pavillon de la Jeunesse, où les chansonniers ouvraient la voie aux
jeunes chanteurs et où les happenings créaient des soirées mémorables pour
Micheline, affolantes pour Élise. L’absence des étudiants rendait l’atmosphère
de la salle plus supportable, ce qui ne déplaisait pas à Élise, qui s’était
privée de nombreux spectacles, par intolérance des foules. Par ailleurs, les
réflexions de Marshall
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