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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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deux autres fiancées. Pour pas perdre la face. Pour voir si
elles étaient mieux ou moins bien que moi.
    – Qu’est-ce que ça t’a donné ? Ça
t’a consolée ?
    – Non, Élise. Sauf que j’ai été capable
de me regarder dans le miroir en me disant que c’était pas parce que j’étais
laide ou insignifiante.
    – Je suis pas intéressée, d’autant plus
qu’on va se séparer.
    – C’est effrayant, Élise… Les protestants
se séparent, puis divorcent. Pas les catholiques !
    – Tu sauras que j’ai ça dans le sang… Ma
grand-mère a quitté mon grand-père, avec neuf enfants sur les bras.
    Jacqueline resta bouche bée.
    – Ta grand-mère !
    – Oui. Elle a préféré la fierté à la
misère.
    – Est-ce qu’elle a eu des funérailles à
l’église ? Est-ce qu’elle a été enterrée dans un cimetière
catholique ?
    – Veux-tu bien me dire, Jacqueline, ce
que tu racontes ? Est-ce que tu crois vraiment à ce que tu dis ?
    Vexée, Jacqueline se tut. Élise lui caressa le
bras et la pria de l’excuser, puis la remercia d’être venue aussi vite.
    – J’ai pas de mérite. J’ai eu un lift avec un bon chauffeur.
    Élise ne put éviter Côme, qui l’attendait au
salon, la tête entre les épaules comme un évêque croupissant sous le poids de
sa tiare. Elle ferma les yeux pour oublier sa beauté et cessa de respirer pour
ne pas sentir son parfum, qui l’avait toujours enivrée. Ce fut Côme qui rompit
le silence, disant qu’il y avait erreur ; qu’il avait tout simplement
donné le mauvais nom d’hôtel ; qu’il était déjà catastrophé par la mort de
sa mère et que son brusque départ, davantage un jugement sans appel qu’un
comportement d’épouse aimante, le tuait ; qu’il ne savait s’il aurait la
force d’accepter d’avoir perdu le même jour les deux personnes les plus
importantes de sa vie et que ce sentiment était semblable chez son père.
    Et voilà ! Il avait sorti sa dernière
arme : la rendre responsable du chagrin de son beau-père. Élise ne broncha
pas et elle se demanda comment il se faisait que ses yeux demeuraient secs. Le
plaidoyer lui aurait arraché le cœur si Côme lui avait seulement demandé
pardon. À une novice, l’erreur du nom de l’hôtel. À une autre innocente, un
silence de quatre jours. Côme disait l’aimer, mais elle se sentait plutôt
méprisée. Aussi ressortit-elle du salon sans proférer une seule parole. Quand
elle l’entendit lui demander si elle allait chercher sa valise, elle ne lui
répondit pas, priant plutôt sa mère de l’excuser parce qu’elle irait manger
seule au restaurant. Elle sortit par la porte arrière et courut presque, sans
se retourner, jusqu’à ce qu’elle fût assise, un menu dans les mains. Elle
écrasa une larme uniquement lorsqu’elle pensa à Jacqueline, qui était seule
dans la voiture à attendre Côme et qu’elle n’avait ni remercié ni saluée.
« Ô Côme, je peux te pardonner, réapprendre à t’aimer, redécouvrir la
confiance, mais la seule chose que tu me demandes, c’est d’être aveugle. »

– 23 –
1967
     
     
    Élise apprit à taire sa souffrance. Côme avait
tenté un rapprochement et elle lui avait fermé toutes les portes, allant même
jusqu’à refuser de le regarder à travers le judas. Elle se demandait comment
elle pouvait l’aimer autant et le faire souffrir. Car il souffrait, elle en
avait la certitude. Quant à sa douleur à elle, il semblait l’avoir occultée. À
l’entendre, elle était responsable de tout : ses insomnies, l’inconsolable
chagrin de son père, les problèmes de récolte – dus autant au décès de sa
mère qu’à sa désertion à elle. Élise l’avait prié de ne pas parler de fuite,
son départ constituant davantage une retraite fermée pour cause d’immense
malaise. Si elle attendait encore qu’il lui demande son pardon, elle espérait
aussi des propositions de vie concrètes.
    Elle s’était retenue de préparer le réveillon
pour son beau-père, auquel elle avait écrit une longue lettre demeurée sans
réponse, ce qui l’avait autant attristée qu’inquiétée. Si elle habitait de
nouveau la maison de sa mère, rien de sa chambre de jeune fille ne la
réjouissait. Elle avait évacué sa vie d’adolescente, sauf lorsqu’elle se lovait
dans le fauteuil de son père pour y chercher un réconfort. Côme lui manquait
autant le jour que la nuit et elle mordait son oreiller pour étouffer son
désir, sa peine

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