L'abandon de la mésange
le matériel nécessaire et ils
travaillèrent ensemble. En deux jours, la chambre reprit un air joyeux sous le
jaune pâle des murs. Alors que la peinture séchait, viciant l’air et les
forçant à dormir avec les fenêtres ouvertes, Élise se réfugia dans la chambre
de jeune homme de Côme. Elle eut beaucoup de difficulté à y trouver le sommeil,
et elle entendait que Marcel ne dormait pas non plus. Elle savait que le
travail de peinture, facile en apparence, lui était pénible, l’obligeant à
ouvrir les armoires scellées par son chagrin. Elle y avait longuement réfléchi
et elle était certaine, forte de l’expérience du départ de son père, qu’il
n’était pas mauvais d’effacer la présence de la disparue pour en chérir le
souvenir, tout en conservant quelques objets qui lui avaient été chers, tels ses
fuseaux, ses nappes brodées ou sa robe de mariée. Marcel se reposa sur elle
pour ces décisions et elle lui en fut reconnaissante. C’était sa façon de lui
faire comprendre qu’elle lui avait manqué, et pour Élise, l’occasion de
réintégrer sa place.
Le travail terminé, les meubles disposés
différemment, les voilages lavés et séchés à l’air propre et froid de la
campagne, plusieurs cartons remplis des vestiges du passage sur terre d’Amélie
Vandersmissen furent portés au presbytère. Élise proposa ensuite de refaire la
chambre de Côme. Marcel, qui avait encore des gouttelettes de peinture jaune
collées aux cheveux, accepta sans trop de résistance, ne voyant rien de plus
intéressant à offrir à sa bru.
– Mais enfin, papa, on ne fait pas de
peinture en hiver ! L’odeur est écœurante !
– Mais, mon fils, je ne peux la faire au
printemps pendant les semis, encore moins durant l’été. Quant à l’automne…
– Mais Élise aurait pu le faire !
Élise le regarda droit dans les yeux et le
pria de ne jamais considérer comme acquis qu’elle serait là pour longtemps.
– À la bonne heure ! Tu rentres à la
maison bientôt ?
– De quelle maison parles-tu ?
Élise et Marcel mirent trois bonnes semaines à
rafraîchir la maison, se confiant l’un à l’autre de plus en plus souvent. Au
fil des jours, Marcel raconta ses amours avec Amélie, et Élise, ses affreuses
années de couvent.
Lorsqu’ils nettoyèrent les pinceaux et les
rouleaux pour la dernière fois, les imbibant de térébenthine et les secouant
dehors dans la neige, Côme fit une colère. Non seulement avaient-ils peint la
cuisine en des tons de turquoise sans lui en avoir parlé, mais ils n’avaient
jamais accepté son offre de leur venir en aide. Montrant Élise du doigt, il la
somma de rentrer à la maison. Élise ferma les yeux. Le moment était venu. Il
lui devait excuses et repentir, sans quoi elle se trouverait un appartement, ne
pouvant plus habiter impunément chez son beau-père.
– Et je vous épargne les rumeurs…
Marcel regarda Élise, ayant immédiatement
compris ce que les gens pouvaient raconter. En moins de deux secondes, ils
souriaient tous les deux.
– Ça te fait une belle jambe, mon fils,
qu’on puisse penser que ton père te cocufie !
Côme demeura muet alors qu’il mourait d’envie
de demander des propos rassurants. Jamais Élise n’avait été aussi belle et
jamais il n’avait vu son père aussi coquet et coquin. Il aurait voulu arrêter
le temps et faire marche arrière ; se retrouver dans les bras de sa femme
sans craindre d’y mêler les parfums d’une autre ; l’entendre sangloter
chaque mois quand elle constatait que son nid était vide et la consoler en lui
promettant l’arrivée d’un héritier. Il l’avait cherchée du regard tous les
jours de l’été passé, souhaitant la voir penchée dans les champs avec son
affreux chapeau de paille et ses vieilles bottes de caoutchouc noires aux
semelles rouges. Tout l’été, il avait espéré la voir apparaître comme par
magie. La mort de sa mère et le départ de sa douce l’avaient assommé et il
n’arrivait toujours pas à s’en remettre. Et voilà que maintenant les gens
jasaient… Il voulait cautériser ses cornes avant qu’elles ne poussent. Tout le
choquait, absolument tout, à commencer par son incapacité à reconquérir Élise.
Alors, sans comprendre ce qui lui arrivait, il éclata en sanglots comme un
enfant privé de dessert.
– Voyons, Côme, sois un homme !
Ressaisis-toi !
– Oh ! Côme…
Tandis qu’il se dirigeait vers l’étreinte de
son père,
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