L'absent
en allongeant le pas. Les plumes
tremblent sur leurs chapeaux. Ils ont mis leurs costumes cousus d’or, leurs
écharpes de soie aux couleurs vives, des médailles en brochette qu’ils ont
autrefois méritées ; leurs bottes à l’écuyère luisent de cire anglaise. Le
vieux Lefebvre bougonne, souffle, se tient le côté. Oudinot a l’air égaré, les
yeux ronds, le sourcil en circonflexe. L’honnête Moncey qui aimait tant les
armes les aime moins. Le duc de Tarente, Macdonald, rejoint cette troupe au
seuil des appartements impériaux, il a couru, il est inquiet et cela se voit
malgré son visage poupin couronné de cheveux blonds et courts ; il arrive
de Melun. Caulaincourt les a précédés dans le salon contigu au bureau de
l’Empereur, il s’arrête de discuter avec Bertrand et Bassano lorsque les
maréchaux entrent d’un bloc résolu. Ils se regardent et se taisent, tendus, frémissants.
Enfin, le major général Berthier, plus taciturne qu’à l’ordinaire, le dos
courbe, soupire en ouvrant à demi la porte de communication :
— Messieurs, Sa Majesté vous attend…
Ils se bousculent, pénètrent ensemble et sans un mot dans le
cabinet de travail, serrés comme des écoliers qui craignent un châtiment, moins
forts soudain, bicornes sous le bras ; on n’entend que leurs respirations
courtes et le froissement des cartes que Napoléon, à son bureau, remue et
crayonne. L’Empereur jette un œil distrait sur le groupe, aperçoit le dernier
arrivé à Fontainebleau, Macdonald, le fixe dans les yeux :
— Bonjour, duc de Tarente, comment vous
portez-vous ?
— Fort tristement, sire.
— Mais encore ?
— Ne pas avoir sauvé Paris… Nous sommes tous accablés.
— Que disent vos hommes ?
— Que vous nous appelez pour marcher sur la capitale.
— Ils ont raison.
— Sire, ils ne veulent pas exposer Paris au sort de
Moscou…
— Moscou était déserte, Paris ne l’est pas.
— Justement, sire, pas de guerre civile !
— Le Sénat vient de prononcer votre déchéance, se
risque le maréchal Ney qui serre les dents et siffle comme un crotale.
— Le nouveau gouvernement rappelle les Bourbons, ajoute
Moncey qui a combattu en sauvage aux barrières de Paris.
— Le gouvernement provisoire, messieurs, est provisoire :
il l’énonce lui-même ! Ces gredins vont sous peu se prosterner devant les
Bourbons, oui, mais en Angleterre !
— Sire, reprend Macdonald, mes soldats meurent de faim,
ils sont découragés. Beaucoup sont rentrés chez eux, et les autres, de quoi
vont-ils vivre à Fontainebleau, dans la forêt ?
— Vous refusez de vous battre ? J’ai assez de
sergents pour vous remplacer.
— L’armée ne marchera pas sur Paris ! affirme le
maréchal Ney d’un ton rageur.
— L’armée m’obéira !
— Non, sire, l’armée obéit à ses généraux.
L’Empereur garde le silence, les observe tour à tour, ils
baissent les yeux, même Ney, puis, d’une voix sèche :
— Que proposez-vous ?
— Votre abdication, répond Ney en étudiant les lattes
du parquet.
— Vous pouvez partir.
Ils s’en vont à reculons. Le maréchal Ney, cela se lit dans
son œil, est à la fois effarouché et fier de son refus. L’Empereur a retenu
Bassano et Caulaincourt :
— La Garde a-t-elle été payée ? demande-t-il d’une
voix redevenue calme.
— Oui, sire, mais sur vos fonds personnels. Nous n’avons
plus un sou pour les autres régiments.
— Et le Trésor ?
Le grand argentier Peyrusse, qui commettait des fautes de
grammaire mais jamais de calcul, a été envoyé à Orléans pour récupérer le butin
emporté des Tuileries par l’impératrice et Cambacérès, environ vingt millions.
Peyrusse n’est pas encore de retour, on n’a aucune nouvelle de sa mission.
L’Empereur se lève alors d’un bond :
— La régence ! Vous avez entendu ? Ils n’ont
que ce mot ! La régence ! Personne n’y croit ! Les alliés ne
sont pas aussi naïfs !
Il marche dans la pièce, jette à terre les objets qui lui
tombent sous la main, la tabatière ovale, un plumier à son chiffre, des cartes,
puis il se ravise, réclame qu’on lui apporte de quoi écrire ; un aide de
camp amène du papier, Caulaincourt ouvre le bouchon de l’encrier, Bassano lui
tend une plume de corbeau finement taillée. L’Empereur s’installe derrière son
bureau et il écrit, pour une fois de sa main, sans trop de ratures :
— L’abdication ! On va la leur
Weitere Kostenlose Bücher