Labyrinthe
juif vivant à Chartres, elle s'en serait souvenue. Le connaissant assez pour comprendre qu'il ne poursuivrait pas dans cette voie, elle décida de changer de stratégie.
« J'avais donc raison. Cet homme n'a pas été occis par des brigands.
— En effet, répondit Pelletier d'un ton presque ravi. L'intention était de le tuer. La blessure est trop profonde, infligée de manière trop délibérée. En outre, presque tous les objets de valeur ont été abandonnés.
— Comment cela, presque ? Ses meurtriers auraient-ils été interrompus dans leur triste besogne ? suggéra-t-elle au risque de se faire rabrouer.
— Je ne le pense point.
— Ou peut-être cherchait-on quelque chose en particulier…
— Pas davantage, Alaïs. Ce n'est ni le moment, ni le lieu pour une telle conversation. »
Obstinée, Alaïs ouvrit la bouche, puis la referma sans mot dire. Le sujet était clos, elle n'apprendrait rien de plus. Mieux valait attendre un instant plus propice aux confidences. Ils chevauchèrent en silence le reste du chemin.
Comme ils gagnaient la porte ouest, François poussa sa monture en tête.
« Il serait avisé de ne faire allusion à quiconque de l'expédition de ce matin, souffla hâtivement Pelletier à l'endroit de sa fille.
— Pas même à Guilhem ?
— Votre époux ne se réjouirait point s'il apprenait que vous êtes allée jusqu'à l'Aude sans escorte, ajouta-t-il sèchement. Les rumeurs se répandent vite. Vous devriez aller vous reposer et effacer ce triste événement de votre mémoire. »
Alaïs lui adressa un regard faussement innocent.
« Naturellement. Comme il vous plaira. Je vous en donne ma parole, paire ; je ne parlerai de cette affaire à nul autre que vous. »
Pelletier hésita, se demandant si sa fille ne le daubait pas, puis opta pour un sourire :
« Vous êtes une enfant obéissante, Alaïs. Je sais que je peux vous accorder ma fiance. »
À son corps défendant, Alaïs rougit violemment.
1. Prière de la troisième heure (neuf heures du matin). (N.d.T.)
4
Le garçon aux yeux d'ambre et aux cheveux blond foncé, qui était perché sur le toit de la taverne, se tourna pour voir d'où provenait le bruit.
C'était un chevaucheur. Entré par la Porte Narbonnaise, il traversait au galop les rues de la Cité, sans égard pour la piétaille qui obstruait son chemin. Les hommes protestaient, brandissant leur poing, lui criant rageusement de mettre pied à terre. Les femmes prenaient en toute hâte leurs enfants dans les bras, de crainte de les voir rouler sous les sabots du cheval. Des chiens errants bondirent avec des aboiements furieux, allant jusqu'à mordre les jarrets de l'animal, sans que le cavalier en tînt compte.
La bête était fourbue. Même à la distance d'où il se trouvait, Sajhë remarqua les traînées d'écume blanchâtres sur ses flancs et autour de la bouche. Elle bifurqua vers le pont du Château comtal.
Malgré l'équilibre précaire qu'offraient les tuiles disjointes, le garçon se redressa à temps pour voir l'intendant Pelletier franchir la porte sur son puissant destrier gris, suivi d'Alaïs et sa belle haquenée. La jeune femme avait une expression soucieuse, et il s'interrogea sur les raisons de cette chevauchée. Sûrement pas la chasse, puisque rien dans leur tenue ne le laissait supposer.
Sajhë nourrissait pour Alaïs un amour sans mélange. Chaque fois qu'elle visitait Esclarmonde, aïeule de Sajhë, la jeune femme ne manquait pas d'échanger quelques mots avec lui, au rebours des autres dames qui faisaient fi de sa présence, trop préoccupées par les potions pour la fièvre, la grossesse, les ecchymoses ou même les affaires de cœur, que menina (c'est ainsi qu'il appelait sa grand-mère) devait leur préparer.
Or, depuis qu'il connaissait Alaïs, jamais Sajhë ne l'avait vue dans un tel abattement. Se laissant glisser jusqu'au rebord de la toiture, il sauta dans le vide et se reçut en souplesse sur le sol, évitant de justesse une poule attachée à une charrette renversée.
« Hé, regarde donc ce que tu fais ! le houspilla une femme.
— Je ne l'ai même pas touchée », se défendit le garçon en s'éloignant du balai dont elle le menaçait.
La Cité bourdonnait des bruits, des images et des odeurs de jour de marché. Dans les passages et les allées, les croisées claquaient contre les murs de pierre, que les servantes ouvraient à la fraîcheur du matin, pour les clore de nouveau sitôt que la chaleur
Weitere Kostenlose Bücher