Lacrimae
souffle :
— Le mercier Borée… Martin Borée ?
— Oui-da.
— Ah… Sainte Mère de Dieu ! geignit le notaire, aussi blanc qu’un spectre.
— Quoi ? le pressa Louis d’Avre.
— Mais… Mais… Maître Borée avait servi d’intermédiaire lors de la dernière transaction de frère Étienne. Il en avait désigné le vendeur… de la Sainte Larme… J’avais ensuite vérifié l’intégrité de ce marchand… un certain Luigi Cappelli, une réputation sans faille…
Un regain d’énergie dissipa l’humeur morose du bailli. Il ignorait où le mènerait cette révélation, mais elle constituait le premier lien tangible entre les meurtres. Du moins deux d’entre eux.
— Expliquez-moi de quelle manière se sont déroulées les transactions de reliques, notamment celle de la Sainte Larme.
— Ma foi… Le mercier Borée a eu vent du désir de l’abbaye de constituer une prestigieuse collection pieuse et de la mission confiée à moi par l’abbé de m’assurer de la probité des transactions. Il m’a présenté ce Luigi Cappelli. Il le savait d’intégrité. Le vendeur italien m’a fait satisfaisante impression en dépit de ma défiance, un précieux travers professionnel. J’ai ensuite vérifié les documents qu’il possédait, attestant l’authenticité de la relique, et son bouleversant cheminement jusqu’à nous. Je ne vous cacherai pas que j’ai pleuré de tenir entre mes mains cette ampoule de verre 6 , contenant une des larmes versées par le Divin Agneau. Jamais si poignante, si parfaite émotion ne m’avait étreint. Je crois qu’elle m’a changé à jamais.
— Et ensuite ? intervint Avre.
— Frère Étienne est venu l’examiner, s’est entretenu avec ce Cappelli qui l’a convaincu. Le vendeur a signé un acte de cession que j’ai conservé. Il a proposé son prix, considérable, vous vous en doutez. Frère Étienne s’est chargé de la négociation avec son père d’ordre, Constant de Vermalais.
— Et l’ampoule ?
— Luigi Cappelli la détenait toujours jusqu’à accord financier, lequel n’a pas tardé, l’abbé ayant proposé une somme peu inférieure. L’Italien a donc rapporté la Sainte Larme en mon étude. J’ai ensuite serré l’ampoule dans un cocon d’étoupe afin de la protéger puis dans un sac de peau, fermé de cordons sur lesquels j’ai apposé mon sceau. Sceau qui ne me quitte jamais le cou, pas même à la nuit, précisa-t-il en désignant l’épais cordon de cuir au bout duquel il pendait. Je l’ai enfermée dans mon coffre, en attendant que Constant de Vermalais dépêche trois de ses serviteurs laïcs en armes, menés par frère Étienne, afin d’escorter l’ampoule jusqu’en l’abbaye, ceci après m’avoir remis la somme débattue et conclue. J’ai ensuite, bien sûr, reversé cet argent contre reçu à Cappelli. J’ajoute avoir refusé rétribution de l’abbaye, l’ineffable joie d’avoir pu contempler, baiser et tenir l’ampoule entre mes mains me comblant au-delà de toute description.
— Aucun incident n’est survenu durant le périple ?
— Pas à mon savoir.
Borée, Étienne et Évrard Charon avaient en commun un achat de reliques pour l’abbaye. Mais que venait faire Leonnet Charon dans cette histoire ? Sans doute le notaire parvint-il à la même conclusion puisqu’il souligna :
— Mon bon cousin n’a rien à voir dans notre marchandage… En sus du vendeur, ce Cappelli, nous n’étions que trois personnes concernées… (Il ouvrit la bouche, une idée encore plus atterrante lui traversant l’esprit :) Aaahhh ! Je reste seul… L’ignoble monstre qui a commis ces meurtres s’en prendrait-il à ceux qui conclurent les ventes ?
Ses joues tremblèrent et il joignit les mains en prière. Avre le rassura, avec plus d’aplomb qu’il ne s’en sentait :
— Non pas, car ainsi que vous l’affirmez, votre cousin Leonnet n’y participa point. Or lui aussi fut occis. En plus du simple du village, quoique nous ayons des doutes à son sujet.
— Un quatrième ? glapit le notaire. L’abominable hécatombe !
— La victime, un certain Nicol, a été poignardée, mais de façon dissemblable aux trois autres.
— Et la main ?
— Toujours attachée au poignet. Aussi, ne parierais-je pas qu’il s’agisse du même meurtrier. Quoi qu’il en soit, messire notaire, prudence ne pouvant nuire, demeurez vigilant et faites prévenir l’un de mes hommes en cas d’incident…
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