L'affaire du pourpoint
Les filles étaient encore à leur séance d’équitation et, jusqu’à leur retour, je serais tranquille.
Quand Jennet entra avec un panier de bûches pour alimenter le feu, je cousais avec ardeur, comme si je n’avais jamais entendu parler de Marie Stuart et ne savais distinguer un crochet d’une louche. Jennet s’adressa à moi à sa manière aimable :
— Oh, vous êtes là, madame ! Ça a été bien calme, cet après-midi, avec le maître et la maîtresse à Maidenhead. Voulez-vous que j’ajoute du bois dans la cheminée ?
— S’il vous plaît, Jennet.
— Il y a une belle flambée, maintenant, dans la galerie, si vous avez envie de changer d’endroit.
— Même quand le feu est allumé, il fait froid, là-haut. Je crois que nous irons nous y asseoir plus tard, mais je prendrai un châle supplémentaire. Une salle de cette dimension aurait besoin d’un bon feu tous les jours pour offrir un tant soit peu de confort.
J’avais fait cette remarque en passant et la réaction de Jennet me sidéra. Rouge comme une pivoine, elle me foudroya presque des yeux et riposta :
— Le maître n’est pas avare, madame, sauf votre respect. C’est juste que les Mason ne peuvent pas se permettre de gaspiller !
— Jennet, je n’insinuais pas…
Son allure un peu bovine la faisait maintenant ressembler à une vache prête à charger pour défendre son veau. Je notai aussi avec intérêt que, donnant des leçons à l’instar d’une gouvernante, je n’avais pas le statut d’une invitée à part entière. Jennet avait beau m’appeler « madame », elle n’hésitait pas à me dire mes quatre vérités.
— La cheminée de la galerie est un gouffre, comme le dit le maître, continua-t-elle en s’agenouillant pour tisonner le feu avec fougue. Il préférerait qu’on n’allume pas du tout là-haut, mais en hiver l’étage devient humide. Alors, la famille s’y installe de temps en temps.
— Jennet…
— Je ne suis là que depuis novembre, mais à Noël le maître nous a donné des pièces de tissu pour de nouveaux habits – du drap pour les dessous et du bon lainage bien chaud pour les jupes et les hauts-de-chausses. Et j’ai eu mon drap et mon lainage tout comme les autres, alors que je venais d’arriver. Redman dit que c’est pareil à chaque Noël.
— Vraiment, Jennet ! Vous êtes d’une impolitesse !
Jennet cessa de s’acharner sur le feu, tourna la tête et croisa mon regard. Elle se leva précipitamment.
— Je… Je regrette, madame. Ma maman – que Dieu ait son âme, elle est partie depuis deux ans maintenant –, elle disait toujours que ma langue m’attirerait des ennuis. Je ne voulais pas dire… Seulement, je suis reconnaissante au maître… et à la maîtresse… parce que c’est une bonne maison. Moi et Joan, on a un oreiller en plumes, pas en paille, et on mange à notre faim, alors ça me retourne que quelqu’un puisse croire…
— Votre loyauté vous fait honneur, Jennet, mais vous ne devez pas vous emporter. Ce qui vient de se passer restera entre nous. N’en parlons plus pour cette fois. Vous êtes très jeune et avez beaucoup à apprendre, mais votre mère avait raison : il faut tenir votre langue.
Toutefois, la situation financière de Lockhill pouvait se révéler un sujet fructueux. Comment trouver la juste mesure entre sermonner Jennet et l’encourager à parler ? Je fis de mon mieux.
— Je ne suggérais en rien que votre maître était avare. C’eût été mentir. Je sais ce qu’est la pingrerie ! J’ai été élevée par un oncle qui donnait ses vieux vêtements aux domestiques tous les Noëls. Si ce n’est pas serrer les cordons de la bourse !…
— Des vieux vêtements à Noël, madame ?
— Et très usagés, de surcroît. Il m’arrive de donner une jupe ou un corsage à Dale, mais toujours en bon état, et à Noël je lui offre un rouleau d’étoffe neuve.
— Ma robe du dimanche est une ancienne toilette de la maîtresse, mais elle était encore très bien, sauf que j’ai dû relâcher un peu les coutures.
— Mrs. Mason a un cœur d’or, et je l’aime beaucoup. Trop de choses la préoccupent, je pense.
— C’est justement ça, approuva Jennet en empilant des bûches près du foyer. Elle aurait besoin qu’on l’aide. Sa femme de chambre n’est pas plus utile qu’un mal de tête, sauf votre respect. Mr. Mason, ça lui irait bien qu’il y ait un autre homme dans la maison. Mais avec les enfants
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