L'affaire du pourpoint
affaires. Personne ne m’ennuya.
Si je ne trouvais pas trace de Brockley le long de la route, je finirais par arriver à Windsor.
La sombre vérité était que, loin de s’arrêter pour se reposer ou d’être retardé par un contretemps, Brockley était à coup sûr tombé dans un piège. Il avait pris des risques sciemment, mais un homme averti n’en vaut pas toujours deux, comme je l’avais appris à mes dépens. Son corps roulait peut-être déjà dans les flots, au fond de la Tamise. Peut-être n’entendrait-on plus jamais parler de lui. Dawson et Fenn n’avaient été retrouvés que par hasard.
En ce cas, ma hâte n’était qu’une réaction de panique futile. Mieux valait user de bon sens.
Quittant Henley après une recherche infructueuse dans deux auberges, je décidai de laisser Étoile aller à son rythme. Je ne pourrais m’introduire chez Barnabas Mew avant la tombée de la nuit.
M’introduire chez Mew ? Et de nuit ? L’idée s’était formée d’elle-même dans mon esprit et je m’y heurtai comme contre un mur. Était-ce donc ce que j’envisageais ? Brockley était allé fouiller la cave pour découvrir la preuve d’un complot ; c’était donc là que je le chercherais. Si je ne le trouvais pas, je me mettrais en quête des preuves dont nous avions besoin. Pour ce faire, je devais me glisser à l’intérieur dans le noir et descendre au sous-sol. Cette perspective m’horrifiait, mais c’était le seul moyen. S’il était arrivé malheur à Brockley, le moins que je pusse faire pour lui était de découvrir le secret qui avait causé sa perte.
J’avais demandé des renforts, mais je n’étais pas sûre qu’ils viendraient. Pas question d’attendre. Je voulais conserver l’espoir qu’il était vivant, prisonnier peut-être, et je me devais de le secourir.
Tout à ces lugubres réflexions, j’arrivai à Maidenhead où je fis halte au Lévrier. Le patron me reconnut, marquant de la surprise à me voir voyager seule, mais je prévins ses questions en l’interrogeant. Se rappelait-il mon serviteur, et celui-ci était-il passé par ici, dernièrement ?
En effet, Brockley s’était arrêté au Lévrier la veille, à une heure tardive. Il était resté une demi-heure, avait commandé une tourte à la viande et une cruche d’ale, et pour son cheval un picotin d’avoine.
— Je ne sais de quel côté il allait, mais il se portait tout à fait bien, déclara le patron.
J’achetai de la nourriture et me remis en route, à vive allure cette fois, car l’idée m’était venue qu’on pouvait me poursuivre depuis Lockhill.
Je replongeai dans mes réflexions. De propos délibéré, j’avais laissé à Barnabas Mew toute latitude d’envoyer un complice pour m’assassiner, ou de prévenir Lockhill afin qu’on s’en charge là-bas. Il avait su profiter de ce répit. Au cours de ces dernières vingt-quatre heures, on avait tenté par deux fois de me tuer.
Mason en était-il responsable ? Les conséquences seraient amères pour sa famille, mais c’était fort probable. Crichton y était mêlé lui aussi. Il avait menti au sujet des tapisseries. Sur l’ordre de Mason ? Étaient-ce des instructions, sans rapport avec l’éducation, que Dawson lui avait entendu donner au précepteur ? Et quels ordres avait-il donnés à mon sujet ?
Redman et Tilly avaient servi son dessein par leurs accusations stupides, fruit triomphal de la graine plantée avec soin avant mon arrivée. Je me demandais si Mason avait vraiment ajouté foi aux mensonges de Mew, ou si son attitude n’était qu’une façade. Les deux hommes avaient pu forger ensemble ces calomnies. Mason en tirait certes le meilleur parti. Il me chassait de sa demeure avec toute l’apparence de la vertu. On se débarrasserait de moi ailleurs, le laissant à l’abri de tout soupçon.
Comment comptait-il s’y prendre ? Il avait tenté d’envoyer un valet d’écurie avec moi. Les deux valets de Lockhill étaient de jeunes garçons au visage franc et ouvert, sans rien de menaçant. Mais savait-on jamais ? Mason avait pu chercher à me faire escorter par mon futur meurtrier, ou m’envoyer dans un guet-apens. Il pouvait avoir d’autres complices, au village.
Par précaution, je quittai la route et parcourus une bonne partie du trajet à travers champs. Je me perdis une fois, mais un paysan qui transportait du fumier dans une charrette tirée par un âne m’indiqua le bon chemin. Sans descendre de selle, je
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