L'affaire du pourpoint
reconnaissance. J’avais identifié le jardin de Mew, constaté qu’il ne semblait pas posséder de chien – bien que l’un de ses voisins en eût un, qui avait aboyé sur notre passage. J’avais remarqué en outre que ce sentier lamentablement négligé était considéré par la population comme un endroit commode où jeter les détritus. Au bord s’entassaient des fripes et des meubles divers – un tabouret fendu, un lit d’appoint défoncé et de vieux coffres en bois de tailles variées. Je disposais donc de quoi me fabriquer une échelle en cas de besoin.
Je m’étais aussi assurée que pour rejoindre le sentier, rien ne m’obligerait à emprunter le même passage. Deux autres me permettaient d’éviter la boulangerie.
De retour à L’Antilope, je m’attardai un peu au rez-de-chaussée pour me familiariser avec l’agencement des lieux, puis j’allai dans ma chambre. Mon dîner arriva et je me forçai à avaler la tourte et les prunes, mais je découpai le demi-poulet en quarts et les cachai dans ma poche secrète, car je le destinais à un autre usage. Puis je me reposai, m’assoupissant même un peu. La nuit précédente avait été mouvementée, et celle-ci serait pire encore.
Vint le moment de me mettre en route, et je dus me secouer pour m’y décider. Je répugnais à quitter la sécurité de l’auberge et j’étais accablée de fatigue, cependant je surmontai cette faiblesse passagère et me disposai à exécuter mon plan.
Bien entendu, dès la nuit, la porte d’entrée était protégée par une lourde barre, impossible à déplacer sans produire un véritable vacarme. Le marmiton dormait avec deux autres serviteurs dans l’arrière-cuisine, ce qui éliminait la possibilité de me glisser par la porte de service. Mais mon exploration m’avait ramenée dans le salon où j’avais soupé avec Brockley et Dale. Ma mémoire m’avait rappelé un détail propice. Ce salon se trouvait à l’avant de la maison, loin des dormeurs, et comportait une fenêtre basse munie d’un verrou fort petit.
Soufflant les chandelles de ma chambre après avoir allumé ma lanterne, je descendis furtivement. Le salon était désert et silencieux. Agenouillée sur la banquette de la fenêtre, je fis glisser le verrou et scrutai la rue noire, puis je retroussai mes jupes pour escalader le rebord sans bruit. Je récupérai ma lanterne sur la banquette et repoussai presque entièrement la fenêtre derrière moi, espérant qu’aucun rôdeur, tapi dans un recoin, ne remarquerait cette brèche dans les défenses de l’auberge.
Le monde enténébré était assourdi. Quelques habitations laissaient filtrer la lueur de chandelles, mais la rue était vide. La plupart des gens craignent l’obscurité : la nuit, les spectres et les assassins sortent de leur retraite. Même à l’intérieur, dans les pièces éclairées par des lampes et des chandelles, les coins recèlent des ombres aux formes inquiétantes. Les portes de Peascod Street semblaient des bouches noires béantes, et l’appel d’une chouette me fit sursauter. La respiration saccadée, je cheminai avec prudence, car le léger halo de ma lanterne me permettait à peine de voir où je posais les pieds.
Enfin, la lune presque pleine sortit d’un voile de nuages et me permit de trouver une autre allée que la première fois. Je tournai dans le sentier. Le clair de lune accentuait les ombres, où se fondaient les détails de ce qui m’entourait. Levant la lanterne, je longeai les barrières des jardinets. Je repérai celle de Mew, mais le chien du voisin se mit à aboyer. Je lançai un quart de poulet par-dessus la barrière et, à mon vif soulagement, ce n’était pas de ces molosses entraînés à refuser toute nourriture de la main d’étrangers. Il fondit sur la volaille avec un grognement de plaisir et je pus examiner la clôture de plus près.
La présence du boulanger m’en avait auparavant empêchée, et le résultat de mon inspection entama mon courage. Le portail se révélait solide et la clôture n’était pas aussi défoncée qu’elle le paraissait. Bien qu’elle fût détachée d’un piquet à une extrémité, je ne pus me faufiler par l’ouverture.
Bon ! J’avais envisagé dès le début que j’aurais à passer par-dessus plutôt qu’à travers, et je connaissais le moyen d’y parvenir. Les mâchoires serrées pour m’empêcher de claquer des dents, j’entrepris de rassembler les objets mis au rebut qui
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