L'affaire du pourpoint
j’aurais voulu entrer dans l’échoppe avec un compagnon robuste et large d’épaules ! Matthew eût été ma préférence, toutefois l’aubergiste de L’Antilope aurait fait mon affaire ! L’idée m’effleura de tout lui raconter et de solliciter son aide.
Mais il ne me croirait pas ou ne me laisserait pas venir. Il affronterait seul le danger, comme Brockley avant lui. Et que cela pèse lourd de savoir qu’on a mis un homme en péril !
Aussi, je le regardai dans les yeux jusqu’à ce qu’il hausse les épaules et renonce à ses questions. Puis je demandai à voir ma chambre et commandai mon souper. Il n’y avait pas de salon disponible, cette fois, me répondit le patron. Il me faudrait manger à la table commune, dans la salle. Quand j’indiquai que je prendrais mon repas dans ma chambre et ne me joindrais pas au reste des clients, cela apaisa ses soupçons à mon égard.
— Fort bien. Une dame voyageant seule doit conserver sa réserve, approuva-t-il.
J’étais si nerveuse que, loin d’avoir faim, je me sentais un peu nauséeuse, mais je devais prendre des forces. Par prévoyance, je demandai un demi-poulet froid, une portion de tourte au veau et des prunes au sirop. Une partie de ces mets se révélerait utile au cours de la nuit à venir.
CHAPITRE XVIII
Au cœur de la nuit
Avant de me restaurer, je partis reconnaître le terrain tant qu’il faisait encore jour, relevant mon capuchon au cas où Mew passerait dans les parages.
J’éprouvais une terreur croissante à l’idée du danger et des difficultés qui m’attendaient. Je devrais sortir dans la nuit, trouver mon chemin jusqu’à la maison de Mew et m’y introduire par effraction. Seule mon inquiétude pour Brockley pouvait me pousser à cette folle entreprise.
Puisque toutes les portes seraient verrouillées, et donc impossibles à crocheter, je ne pourrais entrer que par l’arrière, comme Brockley pensait le faire.
Une fois dans Peascod Street, j’observai avec attention les boutiques et les habitations de chaque côté. Elles se touchaient, pour la plupart, cependant quelques allées les séparaient. L’une de celles-ci s’étendait entre l’échoppe d’Humfrye, l’apothicaire, et une boulangerie. Je comptai les portes entre les deux boutiques – de quoi aurais-je l’air si je me trompais de maison ? –, puis je m’engageai dans l’allée.
Je débouchai sur un sentier, qui passait derrière les bâtisses de Peascod Street. En face de jardinets, je vis des abris et des enclos où paissaient des chevaux, une ou deux vaches, quelques chèvres. Au-delà, les labours grisaillaient sous le crépuscule. Je prenais vers la gauche pour inspecter la clôture de Mew, quand soudain je fus hélée par une voix sonore, en direction de la boulangerie.
— Holà, qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez, à rôder par ici à la tombée de la nuit ?
Un portail grinça et l’homme apparut, en vêtements de travail, ses chausses bouffantes resserrées aux genoux par de la grosse ficelle. Il me scruta, l’œil inquisiteur et le sourcil froncé. À en juger par ses habits blancs de farine, j’avais affaire au boulanger lui-même.
— Que je sois pendu si c’est pas une dame ! Cherchez-vous quelqu’un, madame ? Qu’est-ce qui vous amène ici ?
— Mon chien s’est sauvé ! prétendis-je, songeant qu’en matière de mensonge improvisé, je progressais sans conteste. Un tout petit chien blanc. Je suis confuse, je ne voulais déranger personne.
— Qui c’est que vous pourriez déranger ? Personne ne dort encore ! Comment qu’il s’appelle, votre chien ?
Je tentais frénétiquement d’inventer un nom quand l’inspiration me vint d’une plante poussant à mes pieds.
— Chardon !
— Chardon ? Quel drôle de nom ! Et pourquoi donc que vous lui avez donné ce nom-là ?
— Il a le poil rêche. Chardon ! appelai-je. Chardon ! Chardon !
Nous poursuivîmes quelque temps cette quête ridicule d’un chien imaginaire, car le boulanger se fit un devoir de venir avec moi. Je l’en remerciai avec grâce, bouillant en mon for intérieur. Enfin, je déclarai que je m’étais sans doute trompée en pensant que Chardon avait filé dans cette allée ; j’allais regagner mon logis et voir s’il m’avait précédée. Tandis que je reprenais le chemin de l’auberge, le boulanger resta campé au début de l’allée, à me regarder m’éloigner.
Néanmoins, j’avais opéré ma
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