L'affaire Nicolas le Floch
de tisanes détersives, balsamiques et fortifiantes avec des onctions d'onguent rosat sur les pustules. À tout le moins, il faut de suite aider l'éruption par des décoctions de scorzonnaires, de lentilles et de dompte-venins. Il convient également de multiplier les boissons délayantes et humectantes et, en matière de soutien, du bouillon clair et pauvre qui évitera de nourrir la fièvre.
Aussitôt la consultation achevée, Nicolas alla glisser à l'oreille de La Borde, qui pâlit, l'arrêt de la Faculté. La famille royale fut prévenue par les médecins de ne plus entrer chez le souverain. Bien qu'ils n'aient pas manqué, en annonçant officiellement sa maladie, d'ajouter « qu'il était préparé à merveille et que tout irait bien », la peur surgit immédiatement en raison de la contagion possible. La famille royale, seule des maisons souveraines de l'Europe, n'avait pas adopté l'inoculation et aucun de ses membres n'avait encore souffert de la maladie. Le premier soin fut de contraindre le dauphin à quitter l'appartement ; ce fut sa femme qui l'entraîna. Tous les princes se retirèrent, sauf le duc d'Orléans, le comte de La Marche, le duc de Penthièvre et le prince de Condé qui, ayant eu la maladie, déclarèrent vouloir continuer à voir le roi. Enfin, Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie décidèrent de se constituer gardes-malades de leur père et s'installèrent dans son cabinet particulier ainsi que dans le salon de la pendule.
Parmi les serviteurs, c'était à celui qui s'échapperait le premier. La Borde, avec un pauvre sourire, pressa Nicolas de se retirer ; la prudence l'exigeait. Celui-ci lui déclara avoir été inoculé quelques années auparavant, à l'amicale instigation de Semacgus, lequel – l'épidémie revenant périodiquement – avait entraîné dans cette opération préventive toute la maisonnée de la rue Montmartre, y compris M. de Noblecourt. Le commissaire s'était laissé convaincre, ayant encore dans l'oreille les remarques du marquis de Ranreuil, fervent adepte des nouveautés du siècle et que l'officier anglais prisonnier à Guérande avait convaincu de l'efficacité de la vaccine. Il pouvait donc demeurer, à la grande joie de son ami. Il en fut de même de Gaspard, le garçon bleu, qui affirma avoir subi la maladie dans son jeune âge. La comtesse du Barry parut. Elle fut saluée, sans aucune morgue et dans un étrange rapprochement, par les filles du roi. Au petit matin, Nicolas remonta dans les appartements du premier valet de chambre pour y faire toilette et pour écrire deux billets prévenant M. de Sartine et M. de Noblecourt de l'événement et des motifs qui le retenaient à Versailles.
Samedi 30 avril, dimanche 1 er et lundi 2 mai 1774
La maladie suivait son cours et les factions en présence s'observaient. La journée s'écoula sans aggravation notable. Le jour, les filles du roi ne quittaient pas la place, qu'elles cédaient le soir à la favorite dans des bruissements de saluts courtois. La nuit venue, la fièvre fit de sensibles progrès et le roi commença à souffrir beaucoup. Le lendemain dimanche, le débat au sujet des sacrements reprit de plus belle. Mesdames de France faisaient cause commune avec le parti d'Aiguillon, par tendresse pour leur père et pour lui éviter une secousse trop violente dont elles appréhendaient les suites. Pourtant, le scandale augmentait et la fermentation des esprits fut bientôt telle que le cardinal de la Roche-Aymon, grand aumônier de France, ordonna d'aller quérir Christophe de Beaumont, archevêque de Paris à qui seul incombait le soin d'avertir le roi.
Au cours de leur longue veille, M. de La Borde avait fait connaître à Nicolas tous les aspects du problème. L'archevêque accourait à Versailles avec les sacrements. Cela impliquerait l'expulsion éclatante de la favorite. Mais il y avait secrètement entre le prélat et sa conscience la prise en compte et la reconnaissance de services que Mme du Barry avait rendus au parti dévot, par le renversement de Choiseul, l'élévation d'Aiguillon et l'anéantissement des parlements. Les alliés de l'archevêque et les amis de la comtesse en tenaient ouvertement contre les sacrements. De l'autre côté, les « Choiseuls » poussaient de toutes leurs forces à l'administration du roi. Celle-ci éliminerait de Versailles « la Bécu » qui avait renversé leur grand homme. Ainsi, dans ces agiotages autour de la conscience du monarque, il
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