L'affaire Nicolas le Floch
arrivait, chose étrange, que le parti du ministre en place et celui des dévots se liguassent pour empêcher la communion de Louis XV, tandis que le parti Choiseul, celui des philosophes et des incrédules se coalisaient pour imposer les sacrements. Lui, La Borde, ne souhaitait qu'une chose : se consacrer entièrement au service du roi, nullement enclin à se mêler aux intrigues – sauf à ne point abandonner la nef en péril de la comtesse.
Nicolas, désespéré, errait dans les grands appartements. Il regardait sans les voir les splendeurs qui l'entouraient quand il entendit derrière lui quelqu'un qui pleurait. Se retournant, il se retrouva face à Madame Adélaïde, le visage gonflé, les yeux rouges, qui se tamponnait la bouche comme si cet exercice constituait la seule panacée pour calmer son chagrin. Il la salua en s'inclinant. Ce n'était plus l'altière et belle jeune femme croisée quatorze ans auparavant un jour de chasse dans le grand parc, mais une femme vieillie dont la figure chiffonnée s'éclaira à sa vue.
— Ah ! le petit Ranreuil, comme dit notre père.
Elle éclata de nouveau en sanglots. Nicolas ne savait que faire ; elle lui saisit les mains comme on se raccroche à une branche.
— Monsieur, je vous le demande, implora-t-elle, que devons-nous faire ? Vous qui êtes un fidèle et loyal serviteur de Sa Majesté, que devons-nous faire ?
— À quel propos, Madame ?
Il aurait proféré une injure qu'elle ne l'aurait pas fixé avec plus de scandale.
— N'est-il pas temps, monsieur le marquis, de conduire l'esprit du roi vers l'idée des sacrements ? Le duc d'Orléans me presse de m'y résoudre. Il estime qu'il faut consulter les médecins.
Nicolas, qui venait de lire le dernier bulletin de l'état de santé du roi, l'avait jugé rien moins que rassurant.
— Et que vous ont-ils répondu, Madame ?
— Qu'ils avaient, dès les premiers moments de la maladie, proposé aux grands officiers les sacrements, mais que ceux-ci n'avaient pas pris sur eux de les ordonner. Enfin...
Un sanglot lui coupa la parole.
— ... ils craignent de déplaire au duc d'Aiguillon qui les surveille. Ils estiment également que, dans l'état de suppuration dans lequel se trouve le roi, il pourrait se produire une révolution funeste en cas de trop forte émotion.
— Donc, Madame, il ne faut pas agir avec précipitation.
— Oui, je le crois. On risque de faire courir un péril à notre père. Je tiens à ce que l'archevêque soit surveillé. Il ne faut point le quitter lorsqu'il sera dans la chambre et l'empêcher de rien dire au roi qui le pût effrayer.
— Madame, je crois qu'il faut s'en remettre à Dieu et je suis assuré que Sa Majesté saura le moment venu ce qu'il convient de faire.
Elle le remercia d'un pauvre sourire et trottina vers une pièce voisine où l'attendaient ses sœurs. Nicolas remarqua avec attendrissement que le talon d'une de ses mules se détachait et qu'elle boitait en marchant.
Le lendemain, l'archevêque de Paris arriva en grand arroi. La rumeur rapportait qu'il souffrait de la gravelle et avait rendu la veille deux grosses pierres. En prévision d'une nouvelle crise, il s'était fait suivre de sa baignoire. Lanterné un bon moment dans la salle des gardes à son grand déplaisir, vu ses douleurs, il fut accueilli par le maréchal de Richelieu, qui le retint à force de propos oiseux dans l'antichambre de l'œil-de-bœuf. Coincé dans l'angle de la pièce sous le vent des parfums du duc, il dut subir une attaque en règle cherchant à le détourner de son devoir. Le ton haut du premier gentilhomme de la chambre attira du monde et les regards de tous ceux qui voulaient se convaincre par leurs yeux de l'indécence de cette comédie.
— Monsieur l'archevêque, disait le maréchal, si vous avez tant envie de confesser, venez dans ce coin et je vous jure que vous en apprendrez de belles, surtout si vous êtes curieux d'entendre mes jolis péchés ! Ne proposez rien à Sa Majesté, vous la tueriez aussi proprement qu'avec un coup de pistolet et vous prépareriez sans raison le triomphe de quelqu'un qui nuirait grandement à votre Église.
Effaré de ce qu'il découvrait, Christophe de Beaumont finit par se dégager. Il entrevit à peine Mesdames, mais, entrant chez le roi, il eut le temps d'apercevoir une femme penchée sur le lit. À sa vue, Mme du Barry poussa un cri et s'enfuit épouvantée vers la grande alcôve, où elle disparut par une porte
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