L'affaire Nicolas le Floch
pour empêcher un sourire intérieur, en entendant la comtesse dont la fortune était immense, et à laquelle il venait d'ajouter en lui apportant cinq diamants, dernier témoignage d'un vieil amant, évoquer sa pauvreté.
— Madame, je vous prie de croire que ce souvenir ne me quittera plus.
Il salua les deux femmes et reprit la route de Paris, toujours débordant d'ardeur. Le crime et la trahison tissant leurs rets autour de lui trouveraient à qui parler. Il terrasserait l'hydre dans les griffes de laquelle il s'était enserré depuis la mort de Julie. Comme le soleil dissipe les ombres, les lumières et la justice démasqueraient les coupables. Des rayons inondaient la caisse de la voiture, revêtant de moirures le vieux velours râpé des banquettes. Dans ces jours où tout chancelait, son bonheur s'enflait d'une volonté nouvelle, libérée des tristesses et des effrois.
XII
LES THERMES DE JULIEN
Dans les choses tout est affaires mêlées...
Rien n'est un, rien n'est pur.
Chamfort
Dimanche 15 mai 1774
Une nuit sans rêves laissa Nicolas reposé et l'esprit clair. Il accompagna Marion et Poitevin à la première messe de Saint-Eustache. Il s'abandonna à l'apaisement des prières et des chants dans l'atmosphère de l'encens répandu, tout autant pour honorer le Seigneur que pour dissiper, par ce temps orageux, les insidieuses odeurs montant de la crypte dans laquelle les habitants de la paroisse continuaient à être ensevelis. C'était dans ce même sanctuaire qu'il avait assisté aux funérailles de Rameau et eut une pensée pour Mme de Pompadour qui y avait reçu le baptême. Puis il s'accusa de distraction, comme autrefois au collège, et s'abîma dans une simple méditation priant le Ciel de l'aider pour qu'enfin justice se fasse. Un mandement de l'archevêque de Paris, relatant la mort du roi, fut lu en chaire. Le morceau, éloquent et plein d'onction, s'acheva sur le récit d'un geste du dauphin faisant distribuer des aumônes aux pauvres pour les inviter à demander au Ciel la conservation des jours de son grand-père. Un murmure de ferveur monta de la foule des fidèles.
De retour rue Montmartre, les chauds effluves boulangers du matin réveillèrent son appétit, lui rappelant qu'il n'avait pas soupé la veille. Catherine, esprit fort et qui se gaussait habituellement des messes et des manigances des prêtres, les accueillit, moqueuse, les mains sur les hanches. Cette attitude désolait la vieille Marion, qui tentait sans succès de convertir l'ancienne cantinière qu'elle aimait comme une fille qui lui serait venue sur le tard. Nicolas s'attabla devant une montagne de brioches et un pot de chocolat fumant.
Il décida, en dépit du caractère sacré du dimanche, de se rendre au Châtelet afin d'examiner ses notes et son carnet noir et de rassembler tous les éléments épars d'un ensemble d'événements nécessairement reliés par un fil conducteur. Il s'y rendit à pied, par un temps de plus en plus lourd et humide. Il se félicita d'avoir revêtu un habit blanc de coutil léger, détestant se sentir moite. Le Père Marie l'accueillit sans surprise, habitué depuis longtemps aux horaires fantaisistes de ses chefs. Dans le bureau de permanence, Nicolas eut le plaisir de découvrir Bourdeau qui suait sang et eau sur un rapport.
— Bon, dit ce dernier, votre présence va nous priver d'une belle page d'écriture. J'ignorais que vous fussiez rentré de Meaux. Je m'évertuais pour vous.
Nicolas lui conta brièvement les derniers événements : l'audience de M. de Sartine, sa rencontre avec le nouveau roi et, pour finir, révéla les instructions imprévues qui les replaçaient sur les brisées d'un adversaire mystérieux.
— Voilà qui a le mérite d'être clair, approuva Bourdeau. Nos arrière-pensées sont désormais en accord avec la volonté de lieutenant général. Plus d'états d'âme ! J'ai ramené les deux corps à Paris, celui du cocher, dignement apprêté, a été rendu à sa famille avec une somme honnête qui étanchera leur soif légitime d'explications. L'autre corps a été examiné à la basse-geôle. Les bosses et meurtrissures proviennent bien des poêlons de Catherine. En voilà une qui n'a pas perdu la main depuis Fontenoy ! Pour ne pas affoler la rue Montmartre, j'ai requis dans le jardin, grâce à l'offre d'un bout de biscuit, le témoignage de Cyrus. La brave bête, mise en présence des habits de Cadilhac, s'est hérissée, se gonflant et bavant de
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