L'affaire Nicolas le Floch
revenir et rentre à l'hôtel de Noblecourt où, malade, je m'évanouis vers minuit. Le lendemain, 7 janvier, à deux heures de relevée, je m'éveille et apprends la mort de Mme de Lastérieux. De fait, entre dix heures quinze et minuit le 6, je suis dans l'impossibilité de savoir ce que j'ai fait et où je suis allé dans mon errance.
— Ainsi vous reconnaissez ne disposer d'aucun élément ? Cela me passe, dit Le Noir.
— Monsieur, je suis rentré crotté et le vêtement puant l'eau-de-vie. Le lendemain, M. de Sartine m'a demandé de me cacher à Versailles chez M. de La Borde, avec la complicité de Gaspard, garçon bleu. Un sosie a pris ma place et moi-même, grimé, j'ai accompagné l'inspecteur Bourdeau au cours de son enquête.
— J'imagine, dit le lieutenant criminel, que cela ne signifie pas que le lieutenant général de police a toléré, chez l'un des siens impliqué dans un meurtre, qu'il participe à ce carnaval. Je ne saurais le comprendre.
— Il le faudra pourtant mon cher, intervint Sartine. Pénétrez-vous de l'idée que c'était là le seul moyen de vérifier la véracité et la sincérité des assertions de notre commissaire. Son attitude devait être pourpensée 72 par Bourdeau et témoigner des présomptions de sa culpabilité ou de son innocence.
— Vous m'en direz tant ! s'exclama Testard du Lys en levant les mains au ciel.
— Ce subterfuge, reprit Nicolas, permit de m'associer à une visite préliminaire rue de Verneuil, où le théâtre du crime, laissé en l'état, attendait de plus amples investigations. Le cadavre offrait l'image d'une mort atroce...
Il dut s'interrompre un moment à cette évocation.
— Nous découvrîmes Julie en tenue de nuit sur son lit. Contrairement aux habitudes, les fenêtres étaient closes. Bourdeau et moi avons trouvé une assiette de poulet en sauce à la mode des Îles et un verre à moitié bu d'un liquide blanchâtre. Des bâtons de cire verte et des empreintes boueuses constituèrent nos autres trouvailles. Bourdeau remarqua que ces empreintes correspondaient exactement à celles des bottes que je portais.
— Est-ce à dire, monsieur, que ces dites empreintes provenaient de ces mêmes bottes ? s'exclama vivement M. Le Noir.
— Non, monsieur. J'en possédais deux paires, dont une restait à demeure rue de Verneuil où je maintenais en permanence quelque linge.
— Et cette paire, où se trouvait-elle ? s'enquit Sartine.
— Elle avait disparu du placard où elle était habituellement serrée. Quelqu'un souhaitait visiblement faire accroire que j'étais revenu voir Julie le soir même. Je rappelle que le temps était à la neige et que le sol était boueux. Or, seuls Julie et les deux serviteurs connaissaient l'existence de cette paire de bottes. L'ouverture du corps de la victime prouva l'empoisonnement, tout en faisant apparaître des faits intrigants : elle n'avait rien mangé de solide, ce qui correspondait à ses habitudes. Alors, pour qui cette aile de poulet ? D'évidence, celle-ci tendait à prouver une nouvelle fois ma présence, ce plat étant mon préféré de ceux préparés par Julia et Casimir. Les praticiens conclurent en suspectant le liquide. Les examens complémentaires confirmèrent cette supposition. Si la volaille n'était pas empoisonnée, le liquide en revanche l'était. Là aussi, je me trouvais en première ligne. J'avais coutume de préparer le lait de poule de Julie. C'est à son sujet que, le soir même, et en public un différend nous avait opposés.
— Savez-vous la nature de ce poison ? demanda le lieutenant criminel.
— Hélas, nous l'ignorons ! On a recueilli des fragments pilés de graines qui laissent supposer l'usage d'un poison végétal. Toutefois, une autre hypothèse s'est fait jour : ces fragments pourraient être un leurre destiné à masquer l'existence d'un poison violent difficilement discernable.
— Et le but de cette manœuvre ? questionna M. Le Noir.
— Faire porter l'accusation sur un familier de la maison au courant de la présence d'épices apportées des Îles par les deux esclaves et en usage dans leur cuisine. Et cela montrait également que moi-même pouvais avoir eu accès à ces produits. Les présomptions, ainsi, s'accumulaient encore aggravées par une lettre de dénonciation du sieur Balbastre qui évoquait mon passage dans la cuisine le soir du drame. Qui lui avait indiqué ce fait qu'il ne pouvait connaître, sinon Friedrich von
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