L'affaire Nicolas le Floch
Müvala ? M. de Sartine me révéla alors le rôle très particulier de Mme de Lastérieux, créature de la haute police, dont l'appartement servait d'officine de renseignements et, à l'occasion, permettait de vérifier la loyauté des bons serviteurs du roi.
Personne ne broncha à cette révélation, sauf Sartine dont les lèvres fines se serrèrent.
— Balbastre, interrogé et quelque peu pressé par Bourdeau dans ses retranchements, confirma la chose et avoua avoir été chargé de me mettre en présence de Julie, tout en manifestant la crainte d'une influence dont il taisait le nom.
Nicolas renonça, par prudence, à évoquer l'hypothétique appartenance de Balbastre à quelque mystérieuse loge maçonnique.
— Serait-ce vous, mon cher, qui auriez incité Balbastre à cette démarche ? demanda Le Noir à Sartine.
— En aucune façon, répondit sèchement celui-ci. Il s'agit d'une initiative d'origine inconnue.
— Dans le même temps, poursuivit Nicolas, M. von Müvala s'évanouissait dans la ville, mais avant de le faire, il trouvait encore le temps d'adresser une lettre de dénonciation contre moi au lieutenant criminel.
— Certes, dit M. Testard du Lys, il eût été préférable à tous égards qu'elle demeurât inconnue du principal suspect. Celui-ci, pris de corps, conduit dans une enceinte de justice et dûment interrogé, aurait dû être jugé et...
— Et condamné, puis pendu ! Heureusement, mon cher, dit Sartine, que le feu roi en a jugé autrement, sinon vous auriez aujourd'hui sur la conscience, que je sais sourcilleuse, une erreur judiciaire et la mort d'un innocent. J'ai empêché cela pour le grand renom de la justice et le bien de l'État.
Le lieutenant criminel grommela quelque chose et soupira.
— J'ajoute, dit Nicolas, que ce nouveau dénonciateur restait pour nous bien mystérieux. Aucune trace de son entrée dans le royaume, ni de sa sortie. Juste une remarque de Balbastre, le disant intéressé par la botanique, et ma propre constatation qu'il jouait assez bien du clavecin. Je vous prie, messieurs, de retenir ces points. Ce personnage a, depuis lors, disparu sans que nos efforts permettent de le retrouver. À ce moment de notre enquête, un vieil ami de bon conseil me fit remarquer que « le meurtre de Julie dissimulait autre chose qui n'était sans doute pas unique ». Il y avait beaucoup de vérité dans cette observation.
M. de Sartine leva la main et reprit la parole.
— Messieurs, le commissaire Le Floch va maintenant entrer dans le détail d'événements si particuliers et qui touchent au plus près les intérêts du trône et ceux du souverain défunt qu'il me paraît nécessaire de vous engager à ne jamais vous départir de la plus entière discrétion touchant ce que vous allez entendre. Nous vous écoutons, monsieur Le Floch.
Nicolas s'éclaircit la voix et reprit :
— Prié de prendre du champ par rapport au théâtre de ce drame, je suis chargé par le feu roi d'une démarche secrète à Londres. Mme du Barry, informée par une voie inconnue, me croise à Chantilly. Il s'ensuit plusieurs attentats contre ma vie et des tentatives pour me dérober mes papiers de plénipotentiaire. J'échappe par miracle à ces guets-apens. De retour à Paris, j'apprends que le testament de Mme de Lastérieux m'institue son unique héritier. En outre, une lettre de Julie postée par Casimir, son serviteur, dans la nuit du 6 ou du 7 janvier, suggère qu'une réconciliation était possible entre nous.
— J'observe, dit Sartine, que cette lettre ne laisse pas d'être étrange, car, si nous supposons un complot contre vous et la volonté de faire croire à votre jalousie, ce papier vous innocente et semble écarter toutes raisons de violence.
— Encore aurait-il fallu que je le reçusse à temps ! Certes, monsieur, l'argument est recevable et j'y ai moi-même longuement réfléchi. Cependant, le doute pèse sur l'authenticité de ce document. Un maître dans la science de discerner les faux le confirmerait devant cette cour. Or, si cette lettre est fausse, celui ou ceux qui me poursuivent de leur vindicte pouvaient espérer qu'elle serait agitée à mon détriment. Qui mieux que moi, en effet, connaissait l'écriture de Julie de Lastérieux ? Qui disposait autant que moi de nombreux exemplaires de son écriture ? Jusqu'à une expression de Molière, insérée si artificiellement qu'elle ne pouvait qu'attirer l'attention. Si nous ajoutons à ces
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