Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

L'affaire Nicolas le Floch

Titel: L'affaire Nicolas le Floch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
Vom Netzwerk:
de voir ses instruments. Passant un doigt sur la lame à double tranchant d'une lourde épée, il observa que la tête du condamné devait être détachée d'un seul coup et prononça à la suite cette phrase saisissante : «  Si jamais le hasard me met un jour entre vos mains, promettez-moi de vous le rappeler . »
    — Et alors ? demanda Nicolas.
    — Et alors, quand il fut condamné après la reddition de Pondichéry pour trahison supposée au profit de l'Angleterre 12 , mon père se souvint de la promesse faite au jeune officier. Il quitta sa campagne, revint à Paris. Il fut désespéré de constater qu'il ne possédait plus la force nécessaire pour brandir la lourde épée de justice. Ce fut moi qu'il chargea de cette tâche horrible et... honorable, mais...
    Sanson baissait la tête, la poitrine soulevée par une visible émotion.
    — ... Le condamné avait soixante-quatorze ans et sa longue chevelure blanche se dénoua. Quand je laissai tomber la lame, elle glissa, lui brisant seulement la mâchoire. La foule de la place de Grève gronda. M. de Lally se tordait de douleur sur le sol ; je ne savais plus que faire. Mon père, avec une prestesse et une puissance inattendues pour son âge, m'arracha l'arme des mains, la brandit au-dessus de lui et trancha d'un seul coup la tête du condamné, puis, terrassé par l'émotion autant que trahi par ses forces, il tomba évanoui sur le sol.
    — Ainsi, dit Nicolas, depuis vous n'avez pas eu l'occasion d'exécuter de la sorte, je pense ?
    — Hélas, si ! Le chevalier de La Barre, accusé de sacrilège pour ne s'être point découvert au passage d'une procession et avoir mutilé un Christ en bois sur le grand pont d'Abbeville, eut le malheur d'être remis en mes mains. Il avait été condamné, sans preuves certaines, à avoir le poing coupé et la langue arrachée avant d'être brûlé vif. Il fit appel au Parlement de Paris, qui lui accorda la grâce d'être décapité avant d'être brûlé. Le pauvre jeune homme avait dix-neuf ans...
    — N'est-ce pas lui, dit Bourdeau dont M. de Voltaire réclame à cor et à cri la réhabilitation ?
    — Tout juste. Sans être entendu jusqu'à présent.
    — Mais, reprit Bourdeau, Abbeville ne se trouve pas dans votre juridiction ?
    — Certes, cependant le titulaire de cette ville étant tombé malade, et bien qu'il y eût des confrères à Amiens et à Rouen, le chancelier Maupeou m'a ordonné d'officier. Il entendait sans doute donner plus d'éclat à cette exécution qui répondait aux vœux de l'Église. J'y ai procédé sans incident et ne cesse depuis de supplier le ciel pour le salut de la malheureuse victime. On imagine toujours que nous exerçons notre profession par goût de la destruction de la vie... Il faut combattre cette absurde fable.
    — Nous le savons bien, dit Bourdeau. Je crois qu'il convient de nous séparer, il se fait tard. Comment êtes-vous venu ?
    — J'ai mon cabriolet, dit le bourreau, mené par un de mes aides.
    — On peut lui faire confiance ?
    — Comme à moi-même.
    Nicolas se dirigea vers la table de pierre, Bourdeau et Sanson s'éloignaient déjà. De deux doigts, il toucha ses lèvres puis les posa sur le sac informe, à la place de la tête. Il resta ainsi un moment, le visage fermé, puis rejoignit ses amis qui gravissaient lentement l'escalier. Ils croisèrent le Père Marie qui jeta un coup d'œil curieux sur le faux greffier.
    — Mon cher Sanson, se hâta de dire Bourdeau, auriez-vous l'obligeance de déposer notre greffier, M. Deshalleux, rue Saint-Denis, c'est sur votre chemin.
    — Ce sera avec plaisir, dit Sanson en entraînant Nicolas vers le porche.

    Dans la voiture, le commissaire ne parvenait pas à trouver les mots simples destinés à alimenter la conversation. Sanson, de son côté, respectueux de son silence, fermait les yeux et offrait l'image d'un homme fatigué s'assoupissant. Le cabriolet emprunta la rue Trop-va-qui-dure, face à la sortie du Pont-au-Change, fit le tour du Châtelet par la rue de la Sonnerie afin de rejoindre la rue Saint-Denis. Paris semblait désert par ce soir d'hiver ; même le marché et le cimetière des Saints-Innocents, pourtant toujours si animés, ne se manifestaient que par l'odeur méphitique qui s'exhalait de ces lieux en dépit de la froidure du temps. Peu à peu, les glaces de la voiture se couvrirent de la buée de leur respiration. Nicolas ferma, lui aussi, les yeux au spectacle horrible d'un corps

Weitere Kostenlose Bücher