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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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dit. Ton explication ?
    – Simple. Nous avons fait la guerre, toi et moi, dans d'autres conditions. La machine broie l'homme. Tu sais que je ne suis pas poltron. Eh bien, j'ai voulu me rendre compte, je suis entré dans une de ces machines, une n° 4, avec trois types épatants, un anar barcelonais…
    – … un trotskyste, naturellement…
    (Le chef le dit en souriant, dans une bouffée de fumée ; ses yeux roux riaient à travers la fente presque close de ses paupières.)
    – Peut-être bien, je n'ai pas eu le temps de m'en enquérir… Tu ne l'aurais pas fait non plus… Deux paysans olivâtres, des Andalous, admirables tireurs comme nos Sibériens ou nos Lettons d'autrefois… Bon, nous y voilà, on roule sur une route excellente, je n'arrive pas à me représenter ce que c'eût été dans des fondrières… Nous sommes quatre là-dedans, mouillés de sueur de la tête aux pieds, étouffant, dans l'obscurité, le bruit, la benzine puante, nous avons envie de vomir, coupés du monde, pourvu que ça finisse ! Une panique tenait dans le ventre, vous n'êtes plus des combattants, mais de pauvres bougres détraqués, collés les uns aux autres dans une boîte noire, asphyxiante… Au lieu de vous sentir protégés et puissants, vous vous sentez réduits à rien…
    – Le remède ?
    – Des machines mieux conçues, des unités spéciales, entraînées. Justement ce que nous n'avons pas eu en Espagne.
    – Nos avions ?
    – Bons, sauf les vieux modèles… Ç'a été une faute de leur refiler tant de vieux modèles… (Le chef approuva d'un signe de tête décidé.) Notre B 104, inférieur aux Messerschmidt, surclassé en vitesse.
    – Le constructeur sabotait.
    Kondratiev hésita avant de répliquer, car il y avait beaucoup pensé, convaincu que la disparition des meilleurs ingénieurs du Centre d'expérimentation de l'aviation avait entraîné une baisse certaine dans la qualité de la production.
    – Peut-être que non… Peut-être est-ce seulement que la technique allemande reste supérieure…
    Le chef dit :
    – Il sabotait. La preuve en est faite. Il l'a avoué.
    Du mot avoué naquit entre eux un malaise net. Le chef le sentit si bien qu'il se détourna, alla prendre sur sa table une carte des fronts d'Espagne, posa des questions de détail qui ne pouvaient avoir pour lui, en réalité, aucun intérêt. Au point où l'on en était, que la Cité universitaire de Madrid fût plus ou moins garnie d'artillerie, que pouvait lui importer ? Par contre, il ne parla pas de l'embarquement des stocks d'or, probablement informé déjà par un messager spécial. Kondratiev omit ce sujet. Le chef ne fit pas allusion aux changements de personnel proposés par Kondratiev dans son mémoire… Kondratiev lut sur une horloge lointaine, dans la baie vitrée, que l'audience durait depuis plus d'une heure. Le chef allait et venait ; il fit apporter du thé, répondit à son secrétaire : « Pas avant que je ne vous appelle… » Qu'attendait-il ? Kondratiev, tendu, attendait aussi. Le chef, les mains dans les poches, l'amena tout près de la baie d'où l'on apercevait les toits de Moscou. Il n'y eut qu'une vitre entre eux, la ville, le ciel pâle.
    – Et chez nous, dans cette Moscou magnifique et désolante, qu'est-ce qui ne va pas, à ton avis ? Qu'est-ce qui ne colle pas ? Hein ?
    – Mais tu viens de le dire, frère. Tout le monde ment, ment et ment. La servilité, quoi. De là le manque d'oxygène. Comment bâtir le socialisme sans oxygène ?
    – Hum… C'est tout, à ton avis ?
    Au pied du mur, Kondratiev se vit au pied du mur. Parler ? Risquer ? Se dérober lâchement ? La tension intérieure l'empêchait de bien observer, à quarante centimètres, le visage du chef. Il fut malgré lui très direct, donc très maladroit. D'une voix pesante, faussement dégagée :
    – Les vieux se font rares…
    Le chef écarta, feignant de ne point l'apercevoir, l'énorme allusion :
    – En revanche, les jeunes montent. Énergiques, pratiques, à l'américaine… Les vieux, il est temps qu'ils se reposent…
    « Qu'ils reposent avec les saints », tel est le chant liturgique pour les morts… Kondratiev, crispé, louvoya :
    – Oui, les jeunes, c'est vrai… C'est notre fierté, cette jeunesse… (Ma voix sonne faux, voilà que je mens aussi…)
    Le chef souriait bizarrement comme s'il se fût moqué de quelqu'un d'absent. Et du ton le plus naturel :
    – Crois-tu que j'aie fait beaucoup de fautes, Ivan ?
    Ils étaient seuls dans une

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