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L'Américain

L'Américain

Titel: L'Américain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Franz-Olivier Giesbert
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qu’on aurait pu le prendre, avec ses hardes, pour une sorte de vagabond des champs, tandis qu’en écho maman, fascinée par les penseurs du dénuement, s’habillait volontiers en clocharde.
    Maman et lui nous ont élevés dans la haine de l’argent et de l’apparence. Il n’y a jamais rien sur leur compte en banque mais c’est déjà trop. Il faut être bien riche pour vivre ainsi, comme des pauvres. Il est vrai que leurs parents sont assez à l’aise pour leur signer un chèque, de temps en temps, quand ils crient famine.
    Mon père dit souvent, non sans quelque mauvaise foi, que l’histoire de l’humanité a été faite par des gens qui n’obéissaient pas au principe d’accumulation.
    Ma mère, elle, prétend qu’il n’y a pas de système de pensée, digne de ce nom, qui ne fasse référence à l’argent, sans le honnir. C’est pourquoi Nietzsche n’est, à ses yeux, qu’une moitié de philosophe, et encore. Le pauvre vieux croit avoir tout pensé alors qu’il a oublié l’argent et la vanité qui, si souvent, font la paire. Pas un mot ni sur l’un ni sur l’autre dans Le gai savoir ou Par-delà le bien et le mal .
    « Non, mais je rêve », s’étrangle maman.
    Au nom de quoi, elle met à Nietzsche un zéro pointé et place Pascal ou même Hobbes bien au-dessus de lui.
    Avec de pareils antécédents, je ne peux que vénérer l’argent et je ne manque pas de le faire, pendant toute une partie de mon adolescence. Je vole maman. De temps en temps, je prélève dans son porte-monnaie des sommes si importantes, certaines fois, qu’elle ne peut négliger de le remarquer, même si elle ne m’en a jamais parlé. Si j’avais eu le sens de l’honneur, j’aurais fait les poches de papa. Mais je ne suis pas assez inconscient pour avoir ce courage.
    À cette époque, je dois l’avouer, j’ai souvent honte de mes parents. Le dimanche, surtout, quand ils reçoivent, dans leur tenue de gueux, des visites inopinées de la famille ou d’amis. Au fil des ans, j’éprouve même de plus en plus de gêne à passer mes vacances avec eux. Dans le genre chiche, ils en font trop. Jamais de repas au restaurant ni de rafraîchissements en terrasse de café. Avec eux, c’est tous les jours piquenique, et leur fausse pouillerie exaspère le petit mufle de la bourgeoisie conquérante qui sommeille en moi.
     
    Il n’y a pas d’orgueil à être pauvre. Mes parents en tirent gloire. Aussi souvent en loques qu’ils le peuvent, maman est une vraie chrétienne et papa, un bon taoïste. À cause de leurs crédits à payer, pour la ferme ou pour leurs deux voitures, ils nagent dans l’indigence comme d’autres dans l’opulence. Mais avec le même air comblé. Ils aiment l’idée de soulever la réprobation des gens de bien. De leurs enfants aussi.
    Je me souviens d’un été pourri à Saint-Jacut-de-la-Mer, en Bretagne, où, pour économiser les frais d’un camping, ils plantent la tente en plein champ, près de la mer. Toute la famille passe les vacances à claquer des dents, sous la pluie.
    Je me souviens aussi des voitures de papa qui tiennent à la fois du tracteur et du camion poubelles. Quand le maire d’Elbeuf décide de raser le quartier du Puchot, l’une des sept merveilles de la région, pour y couler son béton, mon père, horrifié, entreprend de sauver du feu le plus de poutres possible. Il en rapporte des dizaines et des dizaines qu’il stocke dans la cour. Elles sentent bon l’Histoire mais transforment peu à peu notre clos en antre de ferrailleur. Jusqu’à ce qu’elles soient reléguées dans un bâtiment où elles moisissent peut-être encore.
    Certaines saisons, notre clos de La Capelle ressemble à un parc animalier domestique. Cette fois-ci, c’est ma faute. À quatorze ans, pour gagner de l’argent, je me suis lancé dans l’élevage. Je vends ma production, sur commande exclusivement, et la livre moi-même en ville, prête à cuire, sur mon vélomoteur. Je fais du lapin, du poulet, du canard et de la pintade.
    Je suis un volailler sentimental, qui s’attache à certaines bêtes, particulièrement liantes. J’ai du mal à les tuer. Surtout quand elles font partie de mon élevage, et non de celui de mes parents, car alors, c’est moi le seul responsable de leur mort. Je me rappelle avoir beaucoup pleuré avant et après la décapitation d’un canard-dinde de mes amis.
    Mais je dois veiller à la rentabilité de mon entreprise. Je suis en train de devenir le petit mufle

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