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L'Amour Courtois

L'Amour Courtois

Titel: L'Amour Courtois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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basse condition (ou avec une prêtresse commise à cet effet)
devant la dame présente réellement ou fantasmatiquement. Cette tentative d’explication
ne tient pourtant pas dans le cadre du récit d’André Le Chapelain. La jeune
fille est seulement la « découvreuse de signes », et, en tant que telle,
elle constitue une étape sur le chemin du chevalier : en fait, elle lui
apprend l’amour afin que, plus tard, il sache exactement quel comportement
adopter en face de la dame réellement aimée. Il y a le même processus dans le
conte breton de Koadalan déjà cité : le
héros délivre la fée-jument de sa prison diabolique, et cette fée lui donne les
moyens d’atteindre une princesse qui sera sa femme. À peu de choses près, les
diverses « pucelles » qui s’offrent à Lancelot du Lac, aussi bien
dans le roman de Chrétien de Troyes que dans le vaste récit en prose du XIII e  siècle, ne font pas oublier au héros l’image
obsédante de Guenièvre qui est sa dame unique et tyrannique. Il n’y a pas
création d’un trio  : la jeune fille qui
donne le baiser d’amour au chevalier breton n’est pas une « maîtresse »,
elle est seulement un guide.
    Pourtant la relation qui s’instaure entre eux est importante,
et elle va très loin, puisqu’en plus du baiser d’amour, il y a échange de
chevaux. En d’autres cas analogues, il peut y avoir échange de bracelets, ou d’anneaux,
ou encore échange de vêtements. Il s’agit d’un geste symbolique par lequel la
vertu de l’un passe chez l’autre. C’est une mise en commun des énergies. L’individu
n’est plus seul, et un couple encore imparfait se constitue : en somme, la
jeune fille n’est que l’image projetée de la dame, sa réalisation fantasmatique
et provisoire par le moyen de laquelle la dame réelle surgira de l’ombre, autrement
dit de l’inconscient.
    Cette mise en commun des énergies conduira le chevalier à un
certain dépassement, et cela d’autant plus que la beauté de la jeune fille
préfigure la beauté encore plus extraordinaire de la dame aimée. N’oublions pas
que le chevalier, en entreprenant sa quête de la dame, fait son entrée dans la
chevalerie d’amour. «  Nature , la “fonctionnaire”
de Dieu, qui, en se surpassant, crée les “dames”, qui produit en l’homme
aristocratique et en toute société chevaleresque des modèles universels d’humanité,
conformément à la volonté de Dieu, institue en même temps une morale
inattaquable. Une très grande beauté implique une très grande valeur morale. La
mission de la femme dans cette société courtoise consiste à actualiser les lois
essentielles que la nature a investies dans la noblesse et qui sont au plus
haut point “raisonnables”. Natura est
identique à ratio , la vertu féodale est
identique à la loi naturelle dont elle est l’accomplissement suprême [21] . »
Et plus que jamais, dans sa beauté de cygne blanc,
la jeune fille rencontrée en pleine nature, dans la forêt, symbole féminin par
excellence, est le signe (la statue en quelque sorte) par lequel l’homme – le
chevalier en l’occurrence – va reconnaître le but que Dieu lui a assigné.
    Au reste, l’intrusion de cette jeune fille, dont les allures
ne permettent aucun doute sur sa condition féerique, a quelque chose d’ inquiétant . Comme le dit fort bien Danielle Régnier,
elle fait partie de ces « singulières figures féminines qui n’apparaissent
jamais comme des fées, mais comme des dames féodales, maîtresses de terres et
de châteaux, qui promettent et donnent or et argent, biens et vêtements, souveraineté
et immortalité. Singulières figures féminines qui possèdent tous les pouvoirs, surtout
celui de combler les rêves les plus utopiques de richesse du monde féodal, tout
ce qui peut procurer au héros l’admiration et l’allégeance d’autrui […] Délicates
et éphémères gestionnaires de l’ordre féodal, restauratrices de l’ordre rompu, impérieuses
séductrices pour l’Au-Delà, ne serait-on pas amené à lire en filigrane l’esquisse
– prudente, certes, que permet le réinvestissement des motifs mythiques – d’un
monde matriarcal, que l’on dit archaïque, mais qui relève peut-être des fantasmes
les plus séduisants du Moyen Âge [22]  ? »
    Désormais, tout est clair pour le chevalier. La jeune fille
lui prodigue encore quelques conseils, notamment à propos du gant qu’il doit
conquérir sur deux chevaliers :

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