L'Amour Courtois
dame de la Fontaine, est en effet l’image la plus
parfaite de la dame de l’amour courtois, et ce n’est pas le moindre mérite de
Chrétien de Troyes d’avoir réussi à faire de celle-ci l’épouse d’Yvain. La
problématique courtoise n’est pas pour autant entamée : le dernier revient
toujours à la dame parce que celle-ci représente, qu’elle soit l’épouse ou l’amante,
la perfection à laquelle le chevalier doit s’attacher sous peine de déchoir et
d’être considéré comme déloyal.
Voici donc Yvain rejeté et honni par sa dame. Il erre dans
la forêt comme un fou, ou plutôt comme une bête sauvage. Il sauve un lion d’un
serpent, combat symbolique s’il en fût, et s’attache le lion comme un animal d’une
fidélité exemplaire. Il accomplit de nombreux exploits, parvenant même à sauver
la suivante Luned d’une situation impossible. Et finalement, c’est celle-ci qui
arrange tout. Elle demande à Yvain d’aller rôder tous les soirs près de la
fontaine et de répandre de l’eau sur le perron. Les orages se succèdent ainsi
ravageant les domaines de Laudine. Luned a alors beau jeu de démontrer à
Laudine que le seul homme qui pourrait la tirer d’affaire est le mystérieux chevalier
au lion. Mais, ajoute Luned, il ne fera rien si Laudine ne s’engage pas à le
réconcilier avec sa dame. Prise au piège, Laudine ne peut qu’accepter cette
solution, et quand elle s’aperçoit qu’il s’agit d’Yvain, il est trop tard, elle
ne peut revenir sur sa parole. Voilà donc Laudine et Yvain réconciliés et
formant à nouveau un couple idéal.
Certes, comme dans Cligès , Chrétien
de Troyes a dû prodigieusement s’amuser à raconter les aventures de ces amants
– mariés – qui ne trouvent leur équilibre que par l’épreuve. C’était déjà le
sens du récit d’ Érec et Énide : il ne
suffit pas d’être marié pour constituer un couple idéal, il faut que chacun des
participants à ce couple manifeste des qualités hors du commun. Sinon, à quoi
bon en parler ? Le couple formé par Yvain et Laudine est, au départ, un
couple légitime au regard de la loi et de la morale chrétiennes, mais il ne l’est
pas au regard du code d’amour courtois. Toutes les aventures auxquelles est
soumis Yvain, dans la seconde partie du roman, sont donc nécessaires pour qu’il
affirme son appartenance à cette fameuse chevalerie d’amour en dehors de
laquelle il n’y a aucune possibilité d’être un héros. Le propos de Chrétien de
Troyes s’appuie donc sur l’ esprit du code courtois,
même si les circonstances font de ses héros des gens mariés. D’ailleurs, il est
bien dit, dans les règles d’amour, que deux personnes mariées peuvent entretenir
une liaison amoureuse passionnée : la seule condition est que cette
liaison doit être librement consentie, mais en aucun cas redevable de l’obligation
conjugale. D’où la brouille momentanée entre Yvain et Laudine, un divorce
provisoire en quelque sorte, et qui sert d’ épreuve .
Laudine ne peut plus refuser de se réconcilier avec Yvain parce que celui-ci a
satisfait aux obligations essentielles de l’amant courtois. Et c’est en tant qu’amant
et non pas en tant qu’époux qu’elle le réintègre dans le couple idéal – et
infernal – qu’elle formait avec lui.
La dialectique de Chrétien de Troyes est très subtile, parce
qu’en apparence, la morale chrétienne, et par conséquent la morale sociale qui
était identique est respectée. Il n’y a pas cet adultère qui devait choquer les
bonnes âmes, même si l’on savait que ce n’était pas un adultère complet. Il y
avait par contre l’exaltation d’une union totale, d’une fusion entre deux êtres qui s’étaient cherchés
longtemps et qui se retrouvaient au terme d’épreuves compliquées pour le plus
grand bien de l’Amour et de la Prouesse. C’est encore en ce sens que le couple
courtois peut être défini comme un couple infernal :
il échappe aux classifications courantes et se présente comme étant
parfaitement marginal par rapport aux usages de l’époque. On peut en effet
imaginer la structure bizarre du couple formé par Yvain et Laudine : né de
la nécessité d’assurer la protection des domaines de la dame de la Fontaine, il
est reconstitué, à la fin des aventures, par cette même nécessité. Et cette
nécessité apparaît comme la justification de l’amour qui unit en fait le
chevalier à sa dame. Car comment
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