Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Amour Courtois

L'Amour Courtois

Titel: L'Amour Courtois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
Vom Netzwerk:
l’impossible de sa
jouissance . Mais s’il a choisi cette voie, à quel prix peut-il la
soutenir, sans succomber, comme il s’en fallut ici de peu, à sa tentation ?
La honte apparaît profondément ambivalente parce que Lancelot en a décidé tout
autant qu’il l’a subie : si elle dispose à transgresser le désir, elle n’en
maintient pas moins le héros comme en retrait par rapport à lui-même. L’extase
ou l’ironie. Sans la honte, Lancelot n’eût pas connu la première ni joué de la
seconde. La démesure de l’amant n’a en lui d’égale que la parfaite modération
du chevalier [48]  ».
    Toutes les conditions requises pour que le désir amoureux s’exerce
dans sa plus grande dimension sont réunies. L’absence de la dame aimée, le
danger représenté par le rival Méléagant, l’atroce jalousie qui saisit Lancelot,
l’impossibilité matérielle dans laquelle il se trouve, sans cheval, d’aller
vers la dame, l’abaissement, la honte qu’il accepte – non sans un certain débat
intérieur –, et finalement le courage qu’il lui faut pour affronter une foule
qui le conspue, la renonciation à son rang de chevalier : tout plutôt que
de perdre Guenièvre. L’amant est ici plus que jamais soumis à la dame, tout au
moins à l’image qu’il s’en fait. Mais après tout, la réalité de Guenièvre est
bien fragile : existerait-elle en dehors de Lancelot ? C’est alors
que se repose la question du couple. Et l’on en vient à estimer que l’homme et
la femme n’ont aucune existence réelle l’un sans l’autre : l’homme n’existe
que par rapport à la femme qu’il aime, et bien entendu, la femme n’existe que
dans la mesure où elle est désirée et aimée par l’homme. Lancelot, dans la
charrette d’infamie, est en passe de perdre son individualité (et son honneur
de chevalier) pour devenir l’une des composantes du couple. On comprend à ce
moment-là qu’il ait fallu le dépouillement : celui-ci était indispensable
pour obtenir une vacuité qui provoquait inévitablement l’apparition du nouvel
être, le couple.
    La charrette est donc une épreuve significative, comme le sera
plus tard le passage du Pont de l’Épée. Pour pénétrer dans la cité de Gorre, cet
étrange Autre Monde « d’où nul ne revient », et où Méléagant retient
prisonnière Guenièvre, on doit franchir un fleuve tumultueux et dangereux par
deux voies, celle d’un pont dessous-eau , et
celle d’un pont dessus-eau qui consiste en une
épée gigantesque et tranchante placée entre les deux rives. Si Gauvain choisit
le pont dessous-eau , parce que cette voie
semble la plus rassurante, Lancelot, lui, choisit le Pont de l’Épée, la voie la
plus dangereuse, la plus directe, la plus rapide, celle qui convient
parfaitement à son ardeur amoureuse. Et il se blesse abominablement. Alors
apparaît le symbole de la blessure d’amour : elle ne peut être que
sanglante puisqu’elle met en jeu l’être tout entier, aussi bien le corps que l’âme.
Au reste, il faut bien se souvenir que le passage sur le Pont de l’Épée ne
provoque pas une blessure nouvelle : cette blessure, elle existe depuis
fort longtemps, depuis que les yeux de la reine se
sont posés sur Lancelot . Le thème des yeux qui blessent mortellement l’amant,
comme les rayons du soleil qui peuvent être meurtriers, est bien connu de tous
les troubadours, mais les poètes baroques du XVI e  siècle
sauront bien l’utiliser et le remettre au goût du jour. En tout cas, ce ne peut
être que honni et blessé que Lancelot parvient devant Guenièvre. Il a dû se dépouiller de tout, en
quelque sorte redevenir vierge : Madame la Reine l’exige. C’était le prix
à payer pour pénétrer le verger paradisiaque où la déesse, dans la plus grande
impatience, attend l’amant qui sera digne d’être son égal.
    Et à cet égard, le Pont de l’Épée est aussi cruel que la
montée dans la charrette. « Conduite étrange et merveilleuse : il ôte
à ses pieds, à ses mains, l’armure qui les couvre. Il n’arrivera pas indemne et
sans entaille au terme de l’épreuve. Mais sur l’épée plus affilée que faux il
se sera tenu bien fermement, mains nues et tout déchaux, car il n’a conservé
souliers, chausses ni avant-pieds. Il ne s’inquiétait pas trop de se faire des
plaies à ses mains et à ses pieds. Il aimait mieux s’estropier que tomber du
pont et prendre un bain forcé dans cette eau d’où jamais il ne

Weitere Kostenlose Bücher