L'Amour Et Le Temps
êtes sincère ! Mais si vous n’aviez pour Claude que de l’amitié, m’auriez-vous parlé de lui, à Thias, avec tant d’émotion ? Les sarcasmes de votre sœur vous révoltaient. Vous ne pouvez peut-être pas vous rendre compte de ce qui se passe en vous… Voyez-vous, mon amie, ma chère, si je ne vous avais point sentie secrètement attachée à votre mari, je n’aurais sans doute pas eu tant de respect, ou plutôt de réserve, c’est ça, de réserve, envers vous. Autrefois, oui. Pas ces jours derniers. »
La douce fermeté de ces propos faisait impression sur Lise. Elle savait bien que Claude avait pris en elle une place importante, qu’elle souhaitait, très vivement parfois, de le revoir, et que s’il n’y avait pas eu Bernard…
« Enfin, mon cœur, dit-elle, c’est absurde ! C’est de vous que j’ai toujours été amoureuse. On ne peut pas aimer deux hommes à la fois.
— Je ne sais pas. Je ne suis pas intelligent, je sens certaines choses, voilà tout. Et puis je vous aime tant ! C’est peut-être pour ça que je vois bien en vous. Beaucoup mieux qu’en moi-même, du reste. Je suis sûr de ne pas me tromper sur vos sentiments ; je suis certain que le jour où Mounier reviendra, vous regretteriez amèrement de ne lui être pas restée fidèle.
— Bernard, dit-elle en l’embrassant avec plus d’émotion cette fois que de fièvre, vous êtes un homme admirable.
— Non, l’homme admirable, c’est Claude. Il s’est privé de vous, il vous a laissée maîtresse de votre cœur. Vous avez certainement songé à ce qu’a dû être pour lui ce sacrifice.
— Oui, assurément, reconnut-elle, se rappelant les lettres qu’elle avait lues non sans émoi. Oui, je sais, il souffre.
— Et il espère.
— Oui. »
Elle demeura rêveuse, avec une ombre sur son visage. Puis :
« C’est certain, Claude a pour moi un amour profond, généreux et sincère. Je n’y suis pas insensible, pourtant je ne peux le lui rendre.
— Comment le sauriez-vous, mon amie, puisque vous ne l’avez pas vu depuis que vous avez appris à le connaître ? Quand il est parti, sa générosité vous avait touchée, mais vous vous défiiez encore de lui. »
Bernard s’arrêta un instant puis ajouta : « Tout à l’heure, vous m’avez dit : « Il s’est trouvé un homme qui n’a pas craint de me traiter comme une femme. » Vous n’étiez pas indifférente envers lui en disant cela. »
Et comme, les cils de nouveau baissés sur le bleu de ses yeux, elle ne répondait point, il reprit en lui caressant le front : « Ne soyez pas gênée, mon petit cœur. Je ne saurais pas m’expliquer, mais… eh bien, aimez Claude comme il vous aime, aimez-moi comme je vous aime. Ce sont deux choses différentes, elles ne peuvent se nuire l’une à l’autre. »
Les mains dans celles de son ami, Lise réfléchissait. Sa fièvre était tombée ; cependant son désir pour Bernard – ce désir qu’elle nourrissait depuis si longtemps, sans le savoir d’abord, ensuite très consciemment – demeurait vif en elle. Il lui rendait difficile d’accéder à une sagesse, une noblesse qui lui imposaient pourtant le respect.
« Et s’il était vrai, dit-elle, que j’aie pour Claude toute l’affection d’une épouse, ne seriez-vous pas jaloux de lui ? Je suis furieusement jalouse, moi, de votre Babet.
— Je l’ai été bien plus encore de Mounier, mais il m’a guéri. Au contraire, je serais heureux que vous lui donniez tout le bonheur mérité par ses vertus. Je vous le répète, ma chère, mon amour pour vous, c’est… Non, ce n’est pas celui d’un frère, c’est bien plus. C’est… ah ! je ne peux pas dire, je sais seulement que si vous m’aimiez comme je vous aime, si nous restons, eh bien, purs, en quelque sorte, cette chose merveilleuse illuminera toute notre vie.
— Bon, dit au bout d’un moment Lise gagnée malgré elle, je ne veux pas me montrer indigne de vous, mon cœur. Je vous promets qu’au moins jusqu’au retour de Claude, je tâcherai d’être sage. Il faudra nous voir souvent. Il n’y a qu’ainsi que je sois heureuse », ajouta-t-elle en se pressant contre lui joue à joue, et il l’enlaça doucement.
Lorsqu’il partit, à la porte du salon de musique elle se haussa pour lui donner encore un baiser, lourd de regrets. Au moment où le jeune homme parvenait au perron, elle le rappela : « Bernard ! Bernard ! Vous oubliez votre sabre. »
Elle
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