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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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déjà connu, paraît-il, pour s’être saisi du malheureux Launay, à la Bastille, et avoir voulu le protéger des furieux. Ce basochien à la figure lugubre ne semble pas être, effectivement, un sanguinaire, ni un soudoyé d’Orléans. Je me demande s’il ne serait point de ce « Sabbat » des Lameth dont tu me parlais. Toujours est-il qu’il a su imposer à son troupeau un certain ordre et au mouvement une certaine forme de légalité. Il a retenu autant que possible les femmes de se jeter sur le château en les fixant autour de l’Assemblée. Nous l’avons reçu avec une quinzaine d’entre elles, dont une portait un tambour de basque au bout d’une perche. Maillard était accompagné d’un garde-française qui, le matin, ayant sonné le tocsin à l’Hôtel de ville, avait failli, disait-il, être écharpé par les modérés. Il demanda du pain pour tous et la punition des gardes du Roi insulteurs de la cocarde nationale. Maillard, lui, réclamait des poursuites contre les accapareurs : des ecclésiastiques pour la plupart, assurait-on. Là-dessus, les femmes dénoncèrent l’archevêque de Paris, comme elles eussent dit le pape. Elles se mirent à clamer : « À bas les calotins ! Le pain à six liards la livre, la viande à neuf sous ! » Quelques minutes plus tard, elles changeaient de chanson, criant : « Vive messieurs les gardes du corps ! Vive le Roi ! » parce que les gardes venaient de se résoudre à prendre la cocarde tricolore. Mons Maillard, avec sa grande figure maussade aux lèvres tombantes, n’était pas satisfait pour si peu. Il voulait le renvoi du régiment de Flandre, la sanction des décrets, l’assurance d’un prompt ravitaillement de Paris. Robespierre le soutint. Moi aussi. Je faillis périr étouffé dans les bras de ces dames quand je proposai que l’on portât cette motion à Sa Majesté et qu’on ne quittât point le château sans une réponse formelle. Je voyais là le seul moyen de tout sauver : à la fois la Révolution et la monarchie. Ma proposition fut votée. On nous désigna quelques-uns, avec le président Mounier qui céda son fauteuil à l’évêque La Luzerne. Ces dames, aux anges, embrassaient tout le monde, y compris l’évêque. Elles s’étaient séchées. Il y en avait de jolies. Je n’y nuis pas resté insensible ; tu me connais !… Mirabeau-Tonneau, lui, non moins paillard que son frère, dépassait la mesure. Il ne se gênait pas pour mettre la main dans les corsages ou sous les cottes, au petit bonheur. Mais c’était le comte, « notre petite mère Mirabeau » que voulaient ces dames. Une fois de plus, il avait jugé bon de n’être point là. Enfin, il fallut partir, accompagnés par une douzaine de nos nymphes. De nos naïades serait plus juste à dire. Il faisait un temps de chien, pire que le jour du Jeu de paume. Ça tombait à seaux. Une pluie très froide. Toutes les boutiques étaient fermées. Avec les misérables réverbères on n’y voyait rien, on pataugeait dans la boue, dans les flaques, au milieu d’une foule confuse qui nous bousculait. Et voilà-t-il pas que, sur la place d’Armes, une patrouille de ces serins de gardes du corps – des serins à cheval – nous charge tout au travers. On te racontera peut-être que j’ai gagné au pied. N’en crois rien ; je me suis hâté tout bonnement de tirer de là une fille charmante nommée Louison, ouvrière ornemaniste, dont j’avais pris le bras en quittant les Menus, à seule fin de la protéger. Grâce à ma prestesse, elle n’a eu aucun mal. Je l’ai ramenée vertueusement quand j’ai vu que le président Mounier s’était fait reconnaître et qu’on lui ouvrait la grille. Trois autres femmes entrèrent avec nous. Elles chargèrent Louison, la plus délurée, de porter la parole. Bouleversée à la vue du Roi, elle ne put dire que ceci, d’une voix faible : « Du pain ! » et s’affaissa comme une fleur, la pauvre jolie. Le Roi fut très bien. Au fond, quand on le voit dans l’intimité, ce gros homme aux yeux de faïence, avec son gros nez, ses grosses lèvres, son gros ventre, est plein d’une simplicité et d’une humanité touchantes. Il a soigné Louison comme si elle eût été sa fille. Quand, revenue à elle, elle a voulu lui baiser la main, il lui a dit qu’elle méritait mieux que ça, et l’a embrassée tout paternellement. Il a promis de faire venir de Noyon et de Senlis les grains nécessaires à Paris. « En attendant,

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