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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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niveler, terrasser, édifier au centre du quadrilatère l’énorme autel où allait se célébrer cette fête d’un genre jusqu’alors inconnu, jamais même imaginé. Elle était si nouvelle aux regards du monde, elle s’annonçait si majestueuse qu’elle attirait dans la capitale de la liberté des étrangers par centaines. Les hôteliers refusaient des pratiques, pour loger gratis les gardes provinciaux. Les Parisiens se les disputaient.
    Après neuf mois de séparation, Bernard et Lise étaient affamés de se voir. Ils se retrouvèrent avec autant d’émotion qu’ils en avaient éprouvé en se quittant, mais une émotion exaltante. Malheureusement, ils eurent peu de temps à passer ensemble. Le 14, à sept heures du matin, Bernard rejoignait Jourdan au rassemblement des fédérés, sur l’emplacement de la Bastille démolie, d’où il défila sans fin jusqu’au Champ-de-Mars, sous une pluie par instants battante. Le temps n’était pas de la fête. Il ne noyait point l’enthousiasme pourtant. Vers quatre heures, les nuages s’écartèrent, un rayon vint illuminer l’autel de la patrie juste au moment où le Roi, debout dans sa tribune, prononçait la formule du serment. On vit dans cette lumière soudaine un symbole, l’émotion s’éleva au délire.
    Le soir, sous un ciel enfin clément, Bernard et ses compagnons participèrent au souper de vingt-deux mille couverts offert aux fédérés par la municipalité dans les jardins de la Muette. À travers Paris plein de chants, de farandoles, tout illuminé de lampions tricolores, il rentra, électrisé mais exténué, chez ses amis qu’il n’avait pas vus de tout le jour.
    Le lendemain, il dut les quitter de bonne heure. Jourdan passa le prendre sitôt après déjeuner. La délégation allait être présentée au général La Fayette par un certain Guillaume Dulimbert. Nicaut avait arrangé la chose, par correspondance, avec ce Dulimbert, d’origine limousine, qu’il connaissait bien, disait-il. Le colonel Barbou – arrivé depuis plusieurs jours à Paris en diligence – l’avait vu ; rendez-vous était fixé devant le corps de garde de l’état-major, dans la cour du Manège. On assisterait ensuite à la séance de l’Assemblée. Claude, un peu vexé que Nicaut ne l’eût pas chargé de cet office pour lequel. il eût été désigné d’abord en raison de son mandat, mais aussi de ses relations avec le général, son collègue à l’Assemblée comme aux Jacobins, n’accompagna point les Limougeauds.
    Jourdan et Bernard traversèrent la longue cour ouvrant, non loin du pavillon de Marsan, en face de la rue Saint-Roch, au fond d’un cul-de-sac. Cette cour était l’ancienne « carrière » du manège, utilisée autrefois pour les exercices équestres en plein air. Tout en longueur, elle se trouvait prise entre le jardin des Tuileries et ceux de l’hôtel de Noailles, puis du couvent des Feuillants, dont les majestueuses façades donnaient sur la rue Saint-Honoré. On avait élevé sur chaque bord de la « carrière » des corps de garde pour la prévôté, pour la garde nationale, pour son état-major, pour les officiers. Ces baraquements la rétrécissaient aux abords de la vaste tente-marquise en coutil rayé sous laquelle les voitures abordaient à couvert la grand-porte du Manège. Un passage pour les piétons, formé par des barrières, longeait la buvette du portier-restaurateur adossée au mur de la terrasse des Tuileries, dite terrasse des Feuillants. Le colonel Barbou, les capitaines étaient là en compagnie de ce Guillaume Dulimbert auquel le colonel nomma les arrivants. Bernard fut désagréablement impressionné par le personnage : un quadragénaire assez grand, fort, vêtu de brun. Il avait un air papelard, une longue et lourde tête, avec un front en dôme d’où s’enfuyaient des cheveux que l’on eût dit mités. Ce qui frappait surtout, c’était son énorme menton, son gros nez mou, ses lunettes aux verres épais comme des loupes derrière lesquelles on ne distinguait pas les yeux.
    « Quels rapports un tel diantre d’individu peut-il avoir avec La Fayette ? chuchota Bernard à Jourdan. Et d’autre part avec M. Nicaut ? »
    — Ma foi ! je me le demande. Il sent son espion de police plus que toute autre chose. Mais sait-on ? Il ne faut point juger les gens sur la mine. »
    En vérité, La Fayette ne semblait pas nourrir beaucoup de complaisance pour le nommé Dulimbert ni prendre d’agrément

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