L'Amour Et Le Temps
l’évêché s’indignait. Il trouvait un soutien dans la haute bourgeoisie, fort peu croyante mais très politique à présent, qui « espérait rétablir le trône dans sa toute-puissance en défendant l’autel », disait Martial Pinchaud. Les « Amis de la Constitution », et parmi eux Jourdan, Bernard, ne pouvaient pas ne point s’irriter de cette agitation antipatriotique dont ils croyaient discerner trop bien les mobiles. Cependant la turbulence d’une minorité plus présomptueuse qu’efficace ne donnait pas de craintes. « Ce ne sont point ces rétrogrades, pleurant sur leurs privilèges défunts, déclarait Jourdan, qui arrêteront le progrès. »
Brusquement, au début de novembre, la situation avait pris une tournure plus inquiétante lorsque, en réponse aux protestations des évêques, l’Assemblée, afin de les mettre au pas, avait rendu le serment civique obligatoire pour les ecclésiastiques, comme il l’était déjà pour les soldats, les gardes nationaux et les fonctionnaires.
Le curé Gay Vernon, imité aussitôt par l’abbé Goutte, remplaçant du curé de Saint-Pierre à l’Assemblée nationale, s’empressa de prêter, devant les administrateurs du département, ce serment d’obéissance à la loi et au Roi. Avec Xavier Audouin, quelques autres prêtres suivirent. La plupart, hésitant, restaient dans l’expectative. Le club des Jacobins s’employait à les encourager ; celui des Amis de la Paix, à les décourager. La guerre, latente entre les deux sociétés, s’ouvrit : une guerre de discours, de placards, d’adresses à la Commune, au District, au procureur-syndic, au directoire du Département, aux électeurs – et bientôt, de menaces. Les Amis de la Paix parlaient de sabrer « ces patriotes imbéciles » ; les Amis de la Constitution, de « faire passer les rétrogrades à la lanterne ». L’effervescence dégénéra en rixes qui éclataient à la moindre occasion. La garde nationale, elle-même divisée, dut reprendre ses patrouilles en armes, pour veiller à l’ordre. Elles étaient souvent brocardées par les cavaliers de Royal-Navarre, en garnison à Limoges depuis un an dans les casernes du Pont-Saint-Martial et des Petites-Maisons. Ils se gaussaient insolemment des soldats citoyens. La tension ne cessait de croître. Jusqu’à certain jour de décembre, le 3o, où Jourdan, qui venait chercher une commande de boutons, entra joyeusement dans la boutique en lançant à Bernard :
« Eh bien, ça y est ! Il leur a rivé leur clou, aux Amis de la Vérité, notre Dumas.
— Ah bah ! comment ça ?
— Il les a fait dissoudre par arrêté de la Municipalité, du District et du Département tout ensemble.
— Ils s’inclineront, tu crois ?
— Faudra bien, mon ami. Nos baïonnettes sont là pour assurer le respect de la loi. »
Les Amis de la Paix et de la Vérité n’osèrent pas se rebeller ouvertement contre un arrêté pris, en tout état de cause, au nom du Roi. Ils mirent fin à leurs réunions, mais nullement à leur action. Bien au contraire ; pour se faire plus sournoise, généralement par personnes interposées, elle n’en était pas moins vive. Des « citoyens honnêtes et paisibles » envoyèrent à Sa Majesté une adresse dénonçant l’arbitraire des autorités locales. Ce placard, abondamment distribué en ville, signalait « l’esprit tyrannique et intéressé des Amis de la Constitution », leurs manœuvres pour assurer aux récentes élections municipales le succès des « profiteurs du nouveau régime », pour « exclure tous ceux qui perdaient à la Révolution ».
« Nous en sommes évidemment les profiteurs, disait Jourdan. Notre avantage, c’est de passer la moitié de nos nuits à patrouiller par la ville ou de nous user les pieds en marches militaires. Et le vôtre, monsieur Montégut, de négliger les affaires de votre commerce pour aller siéger à la Maison commune. »
Jean-Baptiste avait été élu officier municipal.
« Il est bien vrai, observa-t-il avec son bon sens coutumier, que sans la Révolution Nicaut n’eût jamais pu prétendre à la mairie. Il a gagné, au nouveau régime, d’acquérir le prestige de premier magistrat de la Commune.
— Selon vous, c’est un profit ?
— Cela le flatte, j’en suis sûr. Nicaut a toujours été un peu glorieux, il devait plus ou moins jalouser les Naurissane, les Reilhac. Quant au profit, ma foi non, si l’on considère que, comme maire,
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