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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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éclata.
    « Que vous importe ! J’ai obéi à mon père, n’est-ce pas ? Vous êtes-vous souciée de mon bonheur, à ce moment ? C’est un peu tard d’y songer, aujourd’hui. »
    Elle était blanche, ses yeux tournaient au vert. M me  Dupré ne reconnaissait pas ce visage repétri par l’emportement.
    « Lise ! murmura-t-elle effrayée. Tu as pour nous tant de rancune ?
    — Rancune ! Le mot est faible, ma mère. Brisons là, s’il vous plaît. Je sais le respect que je vous dois. Vous m’avez fait faire un beau mariage, paraît-il. Soyez-en heureux, vous. Quant à moi, que vous chaut si j’aimerais mieux être morte ! »
    Tournant le dos, elle courut s’enfermer dans sa chambre de jeune fille où elle avait tant rêvé à Bernard, tant pleuré de le perdre. Une fois encore, elle étouffa dans l’oreiller ses sanglots.
    En rentrant, dans la voiture elle dit à Claude qu’ils pourraient s’abstenir de retourner au village, du moins pendant quelque temps.
    « Ce sera comme vous voudrez, mon amie. Mais vos parents ne vont-ils pas s’imaginer…
    — Peu importe ce qu’ils peuvent croire », trancha-t-elle.
    Il ne répliqua rien. Après un temps de silence :
    « Décidément, vous ne leur pardonnez pas notre mariage.
    — Claude, répondit-elle avec un petit sourire, vous êtes le modèle des époux. Restez-le, ne soyez pas indiscret. Si j’ai des griefs contre eux, ils ne s’appliquent pas à vous-même.
    — Merci, mon cœur », dit-il en lui baisant la main.
    De toute façon, dès le lendemain les rigueurs de la saison auraient mis fin à ces visites. Durant la nuit, la neige s’était mise à tomber. Elle ne cessa point pendant deux jours. Sitôt après, le froid devint beaucoup plus âpre qu’il ne l’est habituellement en Limousin au mois de décembre. Si l’hiver précédent avait été rude, celui-ci s’annonçait plus redoutable encore. Dans le salon aux boiseries grises réchampies d’un fil doré, aux tentures de perse bleue, aux meubles d’acajou – qui composait avec deux chambres tout l’appartement –, Lise, sa bergère approchée du feu, lisait ou cousait. Quand elle levait les yeux, elle distinguait vaguement, à travers les fenêtres où le givre dessinait des fougères blafardes, la place couverte d’une croûte de neige durcie sur laquelle on avait ménagé des chemins pour les diligences en répandant des cendres et du sable, la fontaine muette avec ses coquilles et ses dauphins emprisonnés dans des pendeloques de glace.
    Par ce temps, les denrées, le combustible se raréfiaient et enchérissaient. Plus grave encore : le pain allait de nouveau manquer, cette fois radicalement, prétendait-on, car les paysans, après les maigres récoltes dues à la rigueur du dernier hiver, s’étaient prémunis contre la disette en retenant en grande partie leurs blés. Cette rumeur était jusqu’à un certain point exacte : à l’automne, le gouvernement avait dû envoyer dans les campagnes de petits détachements – des dragons de Schomberg, dans la sénéchaussée de Limoges – pour contraindre les laboureurs à livrer leurs réserves et pour en assurer le passage vers les villes. D’importantes quantités échappaient néanmoins aux recherches, et les nouvelles menaces de la saison n’incitaient point les cultivateurs à se dessaisir de leurs stocks, pas plus que les chemins gelés n’en facilitaient la circulation. Le menu peuple, qui voyait dans le pain son ultime ressource, s’affolait à la perspective de ne plus pouvoir s’en fournir, soit par manque total soit par excessive augmentation du prix.
    Cet état de choses préoccupait Claude et les amis que Claude recevait ou chez lesquels il allait avec Lise. Les deux principaux étaient des robins comme lui : l’avocat Montaudon, célibataire, et Pierre Dumas : un procureur marié à une brunette noiraude, pétillante, du même âge que Lise. Il y avait aussi un imprimeur-libraire : Martial Barbou, son frère et leurs femmes, ainsi qu’un riche teinturier : Étienne Pinchaud dont un ancêtre, consul du « Château » – c’est-à-dire de la ville haute – pendant les troubles de la Ligue, avait donné son nom à la petite place du chevet de l’église Saint-Michel, où il était tombé en défendant les libertés communales. De loin en loin, on voyait un autre gros commerçant, plus âgé : M Nicaut, drapier, rue Porte-Tourny, « Vénérable » de la loge maçonnique. Enfin, bien

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